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Déc 10

Fonds citoyens

« Acheter français est devenu un geste citoyen »


Récit | | 09.12.11 | 13h03 • Mis à jour le 09.12.11 | 17h40

Alexandre Lopepe est un Européen convaincu mais, depuis six mois, il ne veut acheter que des produits français. « J’ai eu le déclic après une série de reportages sur les ravages de la production de coton sur l’environnement en Chine », explique ce Toulousain de 28 ans, informaticien dans le secteur spatial. « Je n’ai jamais été militant mais, là, je le deviens en agissant.  » Claire Nahoun, elle, a eu une « révélation l’hiver dernier », se souvient-elle.

« Un soir, mon fils, qui travaille en alternance dans un magasin de jouets, m’a dit que 80 % de ce que je possédais était fabriqué en Chine. Cela m’a piquée au vif », explique cette quinqua, assistante dans un cabinet d’avocats parisiens. « Depuis j’épluche les étiquettes et j’ai des surprises, comme de grandes marques de vêtements made in China. Je suis pour la mondialisation mais désormais, j’oriente mes achats. »

Quant à Thierry Lehoux, gérant d’un bureau d’études à Nantes, sa prise de conscience date d’il y a un peu moins de deux ans, au coeur de la crise mondiale. « Nous avons défendu le libre-échange avec naïveté, commente-t-il. La pollution et les bas salaires sont en Asie et nous avons progressivement perdu nos industries, nos départements de recherche et même nos sièges sociaux. Je privilégie les circuits courts pour faire revenir la production en France. »
Atypiques, ces consommateurs ? Bien au contraire.

Selon un sondage réalisé par l’IFOP auprès de 1 004 personnes et publié lundi 21 novembre, 66 % des Français annoncent être prêts à payer un peu plus cher (5 ou 10 %) si le produit est fabriqué en France. Des déclarations d’intention, certes, mais qui se retrouvent désormais dans les faits.

Sur le Net, prompt à révéler les tendances, le site Alittlemarket double de taille tous les six mois. Il expose les productions hexagonales de 20 000 artisans – textile, bagagerie, décoration, bijoux : 400 000 visites par mois, 15 millions de pages vues. Huit clients sur dix, sondés en octobre, déclarent acheter sur le site pour faire travailler l’économie locale. « Cent nouveaux créateurs par jour demandent à être exposés sur le site », explique, encore étonné, le cofondateur Nicolas Cohen.

Cet engouement n’a pas échappé à Hervé Gibet et Fabienne Butin. Ces deux pionniers ont, parallèlement à leur travail – lui est journaliste à Paris, elle professeure de peinture à Cassis -, créé en 2008 les sites La Fabrique hexagonale et Madine-France pour aider les consommateurs à débusquer des entreprises fabriquant sur le territoire. « Au début, certains me prenaient pour un pétainiste », explique Hervé Gibet. « Moi, pour une militante d’extrême droite », ajoute Fabienne Butin. « C’est fin 2010 que la tendance s’est inversée : acheter français est devenu un geste citoyen », reconnaissent les deux protagonistes.

Signe des temps, l’entreprise bicentenaire Pleyel, connue dans le monde entier pour ses pianos, a appelé cet été Hervé Gibet pour être référencée en ligne. Désormais, les sites de vente bleu-blanc-rouge se multiplient : 100 % Made in France, France-Avenue, Acheter français n’est pas un luxe, etc. Même les sites destinés aux petites bourses s’y mettent. Ainsi 30eurosmaxi.com estampille les produits hexagonaux d’une petite cocarde. « Nos ventes augmentent de 30 % par an. J’ai été surprise de la diversité des objets français accessibles aux petits budgets », explique sa fondatrice, Hanane El Riz. « L’engouement date d’il y a un peu plus d’un an, ajoute Alexiane Pesenti, responsable marketing de Vilac, dont les poupées Petitcollin sont vendues sur ce site. C’est une conséquence positive de la crise. Le pouvoir d’achat diminue, les Français achètent moins, mais mieux.  »

Résultat, certains industriels, à la peine ces dernières années, redressent la tête. « J’ai agrandi cette année le logo « made in France » sur l’emballage de nos jouets, c’est devenu un argument commercial », affirme Jacques Ecoiffier, patron de l’entreprise de jouets homonyme. La gamme Klorofil de l’entreprise Vulli, arborant un drapeau tricolore, se retrouve ce Noël en tête de gondole des magasins de jouets.

La french touch a également le vent en poupe hors des frontières. « Quand dix parcs new-yorkais s’équipent de nos chaises (celles du jardin parisien du Luxembourg), c’est un peu du Quartier latin et de la Sorbonne qu’ils achètent », reconnaît Bernard Reybier, PDG de Fermob, qui réalise près de la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger. Jean-Yves Hepp n’est quant à lui pas peu fier d’aller présenter sa tablette tactile Qooq, 100 % frenchy, dans le temple mondial de la high-tech, le Consumer Electronics Show à Las Vegas, en janvier prochain. « Je vais la vendre aux Américains alors que sa production vient de passer de Shenzhen (Chine) à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) sans que cela me coûte plus cher », explique-t-il.

Point d’angélisme cependant. Le consommateur aura tout de même bien du mal à trouver des produits industriels hexagonaux – hormis l’agroalimentaire, bien sûr – dans les linéaires des super et des hypermarchés. « Certains distributeurs ne jouent pas le jeu et vendent des jouets made in China plus cher que les nôtres », estime Jacques Ecoiffier. Pour une petite société française, il n’est pas évident de séduire la grande distribution, habituée à multiplier par quatre ou cinq les prix chinois et réaliser ainsi des marges substantielles.

Pour se débrouiller autrement, une nouvelle génération d’entrepreneurs se tourne vers des modèles de distribution alternatifs. Le fabriquant de meubles L’Edito, créé en 2008, propose sur son site un modèle séduisant : l’internaute peut certes acheter des meubles 100 % fabriqués à Evry. Mais il peut aussi financer pour partie le développement d’un prototype proposé en ligne. Il pourra alors acheter l’objet au rabais (- 20 %) mais aussi percevoir, en tant que « coéditeur », des « royalties » à chaque vente (environ 1 euro par meuble vendu pour 100 euros investis au départ). L’entreprise n’a pas de stock, n’avance aucun frais de développement et n’a qu’un show-room-bureau à Paris.

Le modèle visiblement séduit : 100 000 euros, soit 10 % du chiffre d’affaires, sera reversé cette année aux internautes, estime son directeur général, Francis Lelong, créateur il y a quelques années du site de chaussures Sarenza. « Nous ne sommes pas des écolos mais avons des valeurs fortes, explique-t-il. Nous pouvons faire aussi bien en produisant français et en étant un peu plus imaginatifs. »

Les initiatives se multiplient. Le site Archiduchesse propose depuis 2009 une gamme de 48 couleurs de chaussettes fabriquées à Limoges. 50 000 paires ont déjà été vendues. Jacques & Déméter, marque de chaussures chic à moins de 250 euros, vient de se lancer, en novembre, sur le Net. Aux commandes, un jeune duo de créateurs qui va multiplier, d’ici Noël, sa présence dans les « pop-up », ces lieux de ventes éphémères qui apparaissent un peu partout en France. « C’est un bon moyen d’aller à la rencontre des clients », explique le cofondateur Maxime Van Rothem.
Pour le consommateur, malgré tout, pas si simple de s’y retrouver. « La provenance des produits est bien moins visible qu’il y a vingt ans, témoigne Thierry Lehoux. J’ai voulu acheter récemment une batterie de voiture. J’ai demandé au vendeur d’où provenaient les trois modèles proposés… Il a été incapable de me répondre et m’a seulement dit que tous trois fonctionnaient correctement ! »

Pour clarifier la situation, un label Origine France Garantie a été lancé en mai. Certifié par un organisme privé, bureau Veritas, il stipule que « 50 % de la valeur du produit a été acquise sur le territoire national et que les lieux où il a pris ses caractéristiques essentielles sont situés en France ». Une définition plutôt vague… et onéreuse à mettre en pratique.

« J’ai voulu me faire certifier, j’ai reçu un devis avoisinant les 3 000 euros », explique le jeune créateur textile Philippe Gaber, qui s’est résolu à créer son propre logo pour afficher sa « franchitude ». L’opticien Atol a, lui, fait certifier sa dernière collection de lunettes Nu.

Quant aux entreprises trop promptes à surfer sur la tendance qui affichent une cocarde… les 60 000 visiteurs mensuels de La Fabrique hexagonale veillent désormais. « Ils sont autant d’envoyés spéciaux bénévoles qui font remonter les informations comme de discrets déménagements de lieux de production », note Hervé Gibet. Le Web 2.0 au service d’un nouveau contrôle citoyen.

Laure Belot        Le Monde

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