Ce monsieur a certainement des comptes à régler aussi il en profite un peu, néanmoins en tant qu’ancien acteur (et profiteur) du modèle, il le connaît bien.
Et ce qu’il en dit ne surprendra personne, en particulier pas les quelques survivants de l’économie réelle.
Quand l’ex-patron de Jérôme Kerviel prévoit l’Apocalypse
05-12-11 à 11:46 par Irène Inchauspé
C’était une première pour l’Ecole des Mines : une journée consacrée à des débats sur l’innovation financière responsable. La troisième table ronde, en ce début d’après-midi du 30 novembre, portait sur les rémunérations et les bonus dans les banques. A 14 heures, l’auditoire s’endormait un peu alors que Pascal Canfin (député européen) et Nicolas Veyron (économiste) parlaient de régulation.
Puis, Jean-Pierre Mustier prit la parole et ce fut comme un coup de tonnerre dans un ciel d’été : les quatre-vingt personnes présentes ont levé la tête et tendu l’oreille.
Jusque-là, le banquier, ex-patron de Jérôme Kerviel à la Société Générale, s’était contenté de pianoter sur son Blackberry et de revoir sur sa tablette les grandes lignes de son exposé. A peine avait-il maugréé un chiffre lorsque Pascal Canfin avait évoqué l’exposition de la Société Générale à feu l’assureur AIG : 25 milliards d’euros avait dit le député « Non,8 » avait corrigé Mustier sans lever la tête. « Non, 25 », « Non, 8 ». L’échange s’était arrêté là.
« Notre monde pourrait disparaître »
Mais pour faire son exposé, cet homme, pourtant glacial et discret, s’est déployé comme un aigle, faisant de grands gestes avec ses bras pour appuyer ses propos. Le public était d’autant plus attentif, que, depuis le procès Kerviel, ce banquier à l’air rogue n’était pas réapparu en public. « Il faudrait peut-être parler des vrais sujets, lance-t-il en anglais, langue obligatoire de la journée. Les bonus, c’est bien gentil, mais je crois que vous ne vous rendez pas compte que d’ici deux jours, ou une semaine, notre monde pourrait disparaître. C’est Armageddon ».
Autrement dit, la bataille finale qu’il ne faut pas perdre, sous peine de perdre la guerre. Pas encore la fin du monde donc, mais plus très loin. « Nous sommes tout près d’une grande révolution sociale », lance encore celui qui est devenu en 2011 patron de l’activité de Banque de Financement et d’Investissement (BFI) d’Unicredit, banque italienne qui a annoncé 10 milliards d’euros de pertes pour le seul troisième trimestre.
« Les banques ont dégagé des taux de rentabilité trop importants »
La responsabilité de la catastrophe incombe d’abord aux Etats, qui se sont surendettés et ont manqué totalement de discipline. Puis ensuite aux régulateurs, qui prennent de mauvaises décisions et ne font qu’aggraver la situation. Et aussi, aux banques, reconnaît Mustier: « J’ai discuté récemment avec Michael Milken qui est un très brillant esprit, même s’il n’a pas fait que des choses bien. » Milken est l’inventeur des Junk Bonds, qui fut condamné à dix ans de prison et en fit deux. « Il m’a rappelé que la formule la plus importante d’Albert Einstein n’était pas e=mc2 mais celle des intérêts composés ».
Vérification faite, il s’agit bien d’une règle, sinon établie au moins popularisée par Einstein, dite « des 72 », soit le nombre qu’il faut diviser par le taux d’intérêt attendu pour obtenir le nombre d’années nécessaire au doublement du capital. Les financiers vivent décidément sur une drôle de planète où l’on affirme sans rire que la théorie de la relativité n’est pas le plus important apport théorique du génie scientifique.
« Les banques ont dégagé des taux de rentabilité trop importants, continue Mustier, sans sourciller. C’était intenable, sinon il n’y aurait plus eu que des banquiers et des avocats et les autres acteurs de l’économie seraient morts. » Une remarque qui ne manque pas de sel, venant de l’ancien patron de la banque de marché de la Société Générale, dont la BFI dégageait des taux de rentabilité de 30% avant la crise.
Moins de crédits en vue pour tous
Cette description apocalyptique terminée, Mustier soumet à l’auditoire médusé le choix qu’il reste aux banquiers : « soit c’est 1789, soit c’est un changement majeur de notre industrie, comme ce qui s’est passé pour internet après 2000. » Les banquiers, selon cet oracle, vont donc devoir réviser sérieusement leurs modèles. « Se désendetter, retourner sur leurs marchés domestiques, et faire des produits de plus en plus simples. » Et elles auront de plus en plus de difficulté à octroyer des crédits à leurs clients, notamment aux PME.
Quant aux Etats, les marchés ne leur laissent guère le temps de se réformer. Et Jean-Pierre Mustier de citer en exemple la Malaisie qui avait décidé de se refermer sur elle-même en instaurant un très sévère contrôle des changes ce qui lui a permis de s’isoler des marchés et de mener ses réformes à bien. Retour au protectionnisme financier ? « Evidemment pour l’Europe, cela sera plus compliqué, reconnaît le banquier. Il n’y a pas de solution facile. » Mustier reste aussi persuadé qu’en temps de crise, personne ne joue collectif.
« Dans ces cas- là, on n’est plus Européen, c’est plutôt du chacun pour soi », rappelle-t-il. Pour les solutions, on reste un peu sur sa faim. Il faudrait peut-être demander à Michael Milken s’il a une solution.
Irène Inchauspé
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