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Jan 14

Storytelling

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“Ce n’est plus de cette manière que le monde marche réellement. Nous sommes un empire maintenant (US), et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité, judicieusement comme vous le souhaitez, nous agissons à nouveau et nous créons d’autres réalités nouvelles, que vous pouvez étudier également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l’histoire. Et vous, vous tous, il ne vous reste qu’à étudier ce que nous faisons.”

Avec cette déclaration, l’administration Bush dévoilait une conception nouvelle des rapports entre la politique et la réalité : ses membres se détournaient du simple réalisme pour devenir créateurs de réalité, maîtres des apparences.

En parlant de “défaite de l’empirisme”, on met le doigt sur l’essence de ce processus, consistant à limiter la délibération, le contrôle, la recherche des faits, l’enquête de terrain. C’est bien là l’objectif, que la communauté des journalistes honnêtes en Amérique disparaisse, qu’ils soient républicains ou démocrates, ou membres de la grande presse.

 Il ne nous restera plus ainsi qu’une culture et un débat public fondés sur l’affirmation plutôt que sur la vérité, sur les opinions et non sur les faits.

Parce que lorsque vous en êtes là, vous êtes contraint de vous fier à la perception du pouvoir. Et la perception comme instrument d’un pouvoir exécutif tout-­puissant, c’est la grande combinaison que nous voyons à l’œuvre actuellement dans la politique.

Aux États-Unis, le storytelling, c’est un rêve partagé. La logique politique  est aux antipodes du principe de représentation, de délégation et de délibération à travers les corps intermédiaires. Au contraire, il s’inscrit dans une forme de « désintermédiation », c’est-à-dire un projet de déconstruction qui privilégie la relation directe du leader avec l’opinion, une démocratie de « monitoring » qui consiste à créer et faire vivre sa réalité à travers les réseaux sociaux et la télévision. Le storytelling en est le moyen principal.

C’est un « dispositif » complexe qui ne se limite pas à raconter une histoire afin de susciter l’adhésion mais qui mobilise des images, des éléments de langage, des récits et des mises en scène qui exigent d’être formatés pour être transmissibles sur Internet.

Dans des sociétés hyper médiatisées, parcourues par des flux continuels d’informations, la capacité à structurer une vision politique, non pas avec des arguments rationnels, mais en racontant des histoires, est devenue la clé de la conquête du pouvoir et de son exercice.

Ce n’est plus la pertinence qui donne à la parole publique son efficacité, mais la plausibilité, la capacité à mobiliser en sa faveur des grands courants d’audience et d’adhésion…

C’est un paradoxe des démocraties médiatiques et un effet de ces politiques de l’attention qui consistent à stimuler, doper les audiences par des moyens de plus en plus sophistiqués et à provoquer en retour des retombées, des moments de dépression démocratique, une dépolitisation systémique.

Nous vivons au pays de la réalité immersive. Non plus le mensonge déconcertant, mais le pays où la réalité est un show convaincant, le Truman Show.

D’après Christian Salmon, écrivain     le1hebdo.fr

 

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