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Déc 14

Le cygne noir (encore)

Toujours cette illusion de croire que la science pourra tout. Le risque fait partie de la vie et la seule chose sur laquelle on peut travailler c’est de minimiser (pour tous) les conséquences de ce risque.

 Dans les entrailles des cygnes noirs, par Cédric Villani

 
 Au XVIIIe siècle, on découvrit en Australie un animal dont les Européens ne soupçonnaient pas l’existence : le cygne noir. Le financier et essayiste Nassim Taleb choisit ce nom pour désigner des catastrophes imprévisibles, comme celles qui ont secoué la finance mondiale récemment. Dans ses livres à succès, il préconise des modèles économiques robustes à l’inconnu. D’autres, ne s’avouant pas vaincus, voient dans ces catastrophes des questions passionnantes à analyser et comprendre.

C’est le cas de Rama Cont, chercheur CNRS au Laboratoire de probabilités et modèles aléatoires (université Pierre- et-Marie-Curie et université Paris-Diderot). Né en Iran, Cont émigre en France à 14 ans. Un ouvrage populaire de George Gamow fait naître sa vocation : il se rêve en grand physicien.

Un rêve qui commence a se réaliser quand, polytechnicien, il se lance dans une thèse. Mais, dans les pas de son directeur de thèse, Jean-Philippe Bouchaud, il se tourne par hasard vers la finance où ses compétences en physique statistique font merveille. La France peut se féliciter d’avoir accueilli le jeune Cont : vingt-cinq ans plus tard, c’est notamment grâce à lui qu’elle est à la pointe de la recherche en finance. Cont se passionne pour le risque systémique : le risque d’une catastrophe touchant tout le système financier. Il en va en finance comme dans la société : ce qui est bon pour l’individu n’est pas forcément bon pour le groupe.

« EPIDÉMIES FINANCIÈRES »

Ainsi la diversification systématique des portefeuilles, minimisant les risques individuels, accroît en revanche le risque systémique en créant de nouvelles interdépendances entre différents marchés. Même les mécanismes de régulation, censés garantir les individus contre les investissements trop risqués, peuvent devenir de redoutables facteurs de déstabilisation collective, entraînant parfois dans une spirale infernale toutes les banques, qui, contaminées les unes après les autres, sont forcées de refuser le crédit aux individus ou aux Etats qui en ont le plus besoin.

Pour prévenir ces « épidémies financières », l’équipe de Cont fait le pari d’analyser mathématiquement leurs mécanismes de contagion. Dans la finance moderne s’affrontent des ordinateurs qui chaque seconde, selon des algorithmes secrets, échangent des milliers d’ordres d’achat et de vente aussitôt annulés, dans un gigantesque jeu collectif que seuls quelques-uns maîtrisent et que les régulateurs publics, faute de moyens, sont incapables de surveiller. Un monde qui paraîtrait aux financiers de 1950 aussi étrange que la physique quantique a pu l’être aux physiciens de 1900 !

Lors du mystérieux « krach éclair » du 6 mai 2010, l’indice Dow Jones avait plongé de près de 10 % en quelques minutes, avant de revenir à la normale. Cette mini-catastrophe, aussi fascinante qu’effrayante, est l’un des phénomènes que Cont et ses élèves dissèquent pour concevoir des mécanismes afin de stabiliser le système.

Une taxe sur les échanges financiers ? L’idée, soutenue par de nombreux universitaires, est rejetée par beaucoup pour des raisons idéologiques. Mais que vaut l’idéologie face à une réflexion scientifique rationnelle ?


Mathématicien, professeur à l’université de Lyon-I, directeur de l’Institut Henri-Poincaré (CNRS/UPMC)

Médaille Fields 2010

Cédric Villani

Article paru dans l’édition du 11.12.11

 

 
 
 
 

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