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Oct 13

Ballon Delors

 

Atlantico : Qui de Martine Aubry et de François Hollande vous a semblé formuler les meilleures propositions pour sortir de la crise ?

Jacques Sapir : Martine Aubry et François Hollande ont fait assaut de sérieux et de respectabilité pour tenter de convaincre les électeurs qu’ils étaient chacun le meilleur pour gouverner la France dans les cinq années qui viennent.

Mais, si le bilan de Nicolas Sarkozy est sur ce point en dessous du médiocre, aucun des deux « impétrants » ne semble avoir saisi la logique économique de la crise actuelle.

Cette dernière est en apparence une crise de la dette, de la dette globale et non de la seule dette publique comme semblent le croire les deux aspirants à la candidature (et Nicolas Sarkozy). C’est bien l’ensemble des dettes, dette publique mais aussi dette des ménages et dette des entreprises, qui a explosé depuis près de vingt ans, au point que dans certains pays, comme l’Espagne, elle atteint aujourd’hui les 500% du PIB. De ce point de vue, la France, même si elle a connu elle aussi ce processus, a un niveau global de la dette inférieur à l’Allemagne, aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne et bien sûr aux pays comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne.

Mais, cette crise de la dette est elle-même issue de la compression de la majorité des salaires, résultant à la fois du libre-échange et de politiques fiscales avantageant les plus riches. Normalement, cette compression de la majorité des salaires aurait dû provoquer une grave crise de surproduction dans les pays industrialisés. On a retardé cette crise justement en laissant cet endettement se développer, et en facilitant cet endettement par les processus de titrisations, qui ont eux-mêmes donnés naissance à la financiarisation de nos économies. D’où le comportement des banques, de plus en plus axé sur la spéculation, l’excès de risques, et pour finir le problème général que posent les systèmes bancaires dans tous les pays développés. De cela il ne fut jamais question dans ce débat.

Qui vous a semblé le plus convaincant sur le thème de la démondialisation chère à Arnaud Montebourg ?

Nous avons assisté de part et d’autre à une double hypocrisie. Tout d’abord sur le mot « protectionnisme » que les deux participants affectent de rejeter, mais qui transparaît cependant tant dans la notion de « juste échange » de Martine Aubry que dans celle de « réciprocité » de François Hollande. Pourquoi ne pas dire les choses comme elles sont ?

Mais ensuite, hypocrisie encore plus grande quand on se réfère à des procédures européennes voire mondiales pour mettre en place ces mesures. Et l’on en devine le résultats : la ou le Président(e) socialiste revenant vers ses électeurs et disant : « Nous avons une bonne idée mais nos partenaires n’en veulent pas… »

Arnaud Montebourg, lui, a le courage d’utiliser le mot de protectionnisme (que certains imbéciles dans la majorité assimilent quant à eux à l’autarcie), et de dire que si les négociations échouent il faudra que la France prenne des mesures unilatérales. Cette cohérence est absolument absente du discours des deux « impétrants ».

 Certaines propositions vous ont-elles semblé irréalistes d’un point de vue budgétaire ?

Les propositions de chaque candidat à la candidature étaient toutes irréalistes, dans la mesure où elles ne tenaient aucun compte de la crise de l’Euro qui vient à grand pas. Cette crise va rebattre les cartes.

 Le moment clé de ce débat, selon vous ?

Lors de la troisième partie du débat, François Hollande a laissé échapper trois phrases sur la crise de l’Euro. Oui, la zone Euro pourrait éclater durant cet hiver. Et la manière dont Aubry et Hollande veulent utiliser le Fonds européen de stabilité financière (FESF) contre l’avis le plus formel de l’Allemagne était à cet égard pathétique. Nous avons eu deux minutes de lucidité dans le débat. C’est peu.

Quelle question, qui n’a pas été abordée lors du débat, aurait vraiment mérité de l’être ?

La véritable question qui a plané sur le débat était de savoir comment, face à une restructuration de la dette Grecque de 50% à 60%, procéderions-nous au sauvetage de nos banques. François Hollande a déploré l’ampleur des intérêts sur notre dette. Ce problème se posera avec encore plus d’acuité quand il faudra que nous trouvions les 90 à 100 milliards d’Euros nécessaire pour racheter les titres grecs dans nos banques. Pourquoi n’a-t-il pas soulevé la question d’une monétisation directe, par la voie d’avances faite au Trésor Public par la BCE ? Et pourquoi n’a-t-il pas dit qu’à défaut le Président pourrait, par décret, mobiliser les ressources de la Banque de France pour procéder à de telles avances ?

 D’une façon plus générale, qui avez-vous trouvé le plus convaincant lors de ce débat ?

Les deux impétrants se sont révélés tels qu’en eux-mêmes : des robinets d’eau tiède issus du ballon Delors.

J.Sapir

 

 

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