Si en physique mathématique la quasi-totalité des systèmes sont dits déterministes, il en est certains, appelés chaotiques, dont la dynamique reste certes déterministe mais pour lesquels aucune prédiction n’est dans la pratique On parle alors de chaos ou encore de dynamique non-linéaire.
La théorie du Chaos, née véritablement dans les années 1970 malgré certaines observations faites jadis par Poincaré (XIXème), a permis des avancées substantielles dans beaucoup de domaines de la physique qui restaient jusqu’alors très flous et incompréhensibles
Un exemple ? Le climat. Celui-ci est engendré par le ré-équilibrage constant de différences de pressions et de températures locales qui induisent des micro courants d’airs. Tous ces petits mouvements créent des mouvements plus globaux. Il faudrait donc connaître précisément l’état de chaque molécule contenue dans l’air si l’on voulait pouvoir prédire avec exactitude l’évolution du système. Vous comprendrez aisément que c’est absolument impossible
Ce pavé qui a été jeté dans la mare au début des années 1970 signait l’arrêt de mort de la physique déterministe: à quoi bon en effet tenter de décrire quoi que ce soit si la moindre incertitude sur la mesure nous donnera des résultats totalement divergents
Mais qu’à cela ne tienne ! Les scientifiques – les vrais ! – admettent rarement leur incapacité à comprendre comment cela fonctionne . Ils ont donc continué leurs recherches sur un point fondamental, observé tous les jours : si le moindre battement d’aile d’un papillon pouvait créer des ouragans, comme cela se fait-il que nous n’observions pas des millions d’ouragans chaque année au vu de la quantité impressionnante de papillons sur terre ? Un constat était fait: si un système était chaotique dans son fonctionnement, on pouvait en observer une certaine stabilité au niveau global
Les mathématiciens et physiciens ont donc voulu creuser l’affaire. Je ne rentrerai pas dans les détails ici car on aborderait des pans de cette mathématique bien trop complexes pour le sujet abordé, mais sachez juste ceci: si les évolutions des systèmes sont chaotiques, on peut définir avec une précision millimétrique des probabilités de comportement grâce à l’apparition de paramètres globaux qui stabilisent le système. On ne parle donc plus en terme de futur unique mais en terme de probabilité d’évolution d’un système
La théorie du chaos peut être appliquée à énormément de sciences dont celle qui nous intéresse ici: la science humaine. Ainsi, si les systèmes humains paraissent si stables dans leur ensemble alors que des milliards d’individus poursuivent chacun leur petit but personnel, c’est parce que ceux-ci font partie d’une dynamique chaotique et que, par effet de structure, le système va trouver un équilibre global.
L’intuition de Durkheim qui voyait en les sociétés humaines une propriété holistique était donc la bonne. Des mécaniques systémiques apparaissent, indépendantes des petites variations. Aie ! Le libre-arbitre est à nouveau jeté aux ordures: l’individu pourrait faire ce qu’il veut, le système phagocytera sa différence dans une dynamique globale stable
Un système stable ? Pourtant, l’Histoire nous montre que les hommes ont passé bien des épreuves qui ont radicalement changé la face du monde, c’est-à-dire la dynamique globale du fonctionnement des sociétés humaines. Alors que s’est-il passé? Il y a une origine à ce changement et deux moyens d’y parvenir.
L’origine est simple: les paramètres globaux qui font la stabilité du système ont tout simplement changé.
On retrouve deux causes fondamentales: un changement très brusque, cataclysmique, ou alors l’évolution certaine quoique très lente d’un paramètre global jusqu’à un seuil insupportable.
On peut appliquer ces observations aux sciences humaines En effet, la première guerre mondiale ne s’est pas déclenchée en un jour. Il y avait de plus en plus de tensions qui couvaient, des crispations toujours plus fortes, et le seuil a été atteint lors de l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand qui servit de prétexte pour déclencher les hostilités. Il est clair que ce n’est pas l’assassinat en lui-même qui est la cause de la première guerre mondiale mais bien le fait qu’un seuil, un point de non-retour, était atteint. Des phénomènes comme ceux-là, on peut en trouver beaucoup à travers l’histoire. L’inconvénient de cette méthode est son inertie, sa lenteur. Celle-ci s’explique déjà par le seuil nécessaire afin de voir le changement s’effectuer véritablement, mais aussi par le caractère fractal du système chaotique.
Quant à la simplicité originelle de l’organisation sociale, on peut épingler les mécaniques de dominances entre les êtres humains qui induisent des hiérarchies. Les parents ont autorité sur les enfants, l’Etat sur les familles, Les élites sur les Etats, etc. Ce processus très simple est souvent masqué par la complexité ambiante
Par le même raisonnement, on conclura aussi que cette auto-similarité se retrouve jusqu’à l’individu isolé: ses différentes pulsions le tirent constamment vers des désirs contradictoires dont la résolution fera apparaître ce qu’on veut appeler la personnalité qui, elle, est sensée être plus ou moins stable. L’adage de Gandhi qui dit « si tu veux changer le monde, tu dois d’abord te changer toi-même », prend alors tout son sens!
Malheureusement, les exemples de changements brutaux dans les sociétés humaines manquent à l’appel car trop rares. J’ai tenté d’en identifier quelques uns: L’arrivée de « messies » qui ont radicalement changé le monde spirituel de nos sociétés, ou encore l’explosion de Little Boy et de Fat Man, respectivement au-dessus d’Hiroshima et de Nagasaki qui ont sonné le glas pour le Japon, assurant l’hégémonie des Etats-Unis. Ces bombes nucléaires ont radicalement changé les rapports de force entre nations, modifiant le système global de manière assez brutale.
J’aime à nommer l’Emergence, avec un grand « E », ce type de changement. Elle n’est ni positive ni négative; il n’y a pas de jugement de valeur sous-tendue. Il y a juste un changement radical.
Alors que faire ? Attendre sagement l’Emergence ? Ce serait s’abandonner au système dans l’espoir qu’il changera bien assez tôt pour le voir.
La solution pour modifier ces paramètres se trouvera sûrement au cas par cas et les deux voies de résolutions devront à chaque fois être poussées jusqu’au bout de leur logique. Il est en tout cas clair que le changement de mentalité est un élément fondateur essentiel à tout changement global par effet de seuil
Le libre-arbitre est finalement retrouvé. Même si tout seul il sera impossible de modifier quoi que ce soit, c’est par l’effet de groupe que ça se passera; en tenant compte d’une possible Emergence qui changerait la donne. Mais quoi qu’il en soit, il est totalement impossible de prédire quel système stable remplacera celui-ci. On ne peut qu’en déceler des indices par l’étude de ce qui fait le nôtre aujourd’hui.
Il ne nous reste plus qu’une chose à faire: se mettre au boulot !
D’après un article de Boris Verhaegen sur le blog de paul Jorion
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