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Mar 07

Occupy

 

Interview de Nelini Stamp – Occupy Wall Street.

Esther Vivas: Comment le mouvement est-il né ?

Nelini Stamp: Nous avons été inspirés par le printemps arabe, les occupations dans le Wisconsin et d’autres mouvements, comme le mouvement du 15 Mai espagnol. Le magazine de la fondation canadienne Adbuster a lancé cette idée d’occuper Wall Street, parce que ça avait déjà été fait pendant le mouvement «No shop» pour le «black Friday» mais ils ne l’avaient jamais vraiment organisé.

Je n’étais pas avec eux, mais une poignée de militants autonomes se sont réunis en premier avec ce slogan, les 99% contre les 1%… C’est tout. Ça a circulé sur facebook, sur les mails, on voyait ce slogan partout et ça a pris. Il y a eu un appel large pour la date du 17 septembre, on a occupé les parcs, les lieux publics. Ce jour-là, il y avait un millier de personnes, ce n’était pas beaucoup, mais ça représentait quelque chose d’important pour le premier jour. La police a dit, «laissez les occuper juste pour cette nuit, ils ne sont rien, ils sont mignons…» Ils n’ont pas pris ça au sérieux.

 De notre côté, on s’est assez vite organisés, on a eu dès le premier jour une liste des besoins du campement et des groupes de travail, le mien était (et est toujours) celui des organisateurs du camp. On a mis en place rapidement le groupe «média», le groupe «actions», tout le monde était prêt. On a programmé une manif dans la matinée du 18 septembre sans avoir bien planifié mais il y a eu du monde, on faisait deux assemblées générales par jour. C’était vraiment fort de voir naître ce phénomène qui est devenu le mouvement «Occupy».

En quoi le printemps arabe et les indignés ont inspiré le mouvement. Sans eux ce ne serait pas arrivé ?

Cela dépend, parce que de toute évidence, aux états-Unis, nous avons beaucoup de contact avec le monde arabe donc le printemps arabe a eu une influence plus importante que le mouvement des indignés. Même les gens non politisés savait qu’il y avait des révolutions là bas, donc cela a eu un réel impact aux Etats-Unis. D’autres connaissaient vaguement le mouvement indigné 15M… Moi-même je regardais les sites, je cherchais où trouver des informations, comment vous occupiez les parcs et les places… C’était très inspirant de voir cette continuité, et quand cela a touché les Etats-Unis les syndicats ont joué un rôle, ceux qui nous ont aidé avaient des contacts internationaux très importants. Les syndicats, même s’ils sont un peu bureaucratisés, sont importants historiquement dans les mouvements sociaux américains, ils représentent les plus opprimés réellement, les noirs, les pauvres, les immigrés. Leurs membres sont vraiment impliqués dans les mouvements.

Dans le Wisconsin, ils ont occupé le Capitole du Wisconsin pendant 3 semaines, ils ont dormi là, ils ont fait du bruit… Tous les parlementaires démocrates ont fui, ils devaient voter une loi importante mais ils sont retournés dans leurs villes, c’était assez fou. On a vu que la mobilisation pouvait réellement avoir du poids et Occupy WS est apparu quelques mois plus tard.

Quel est le profil «type» du militant «d’Occupy» ?

Il y a deux grandes catégories: il y a les «nous sommes les 99%», et il y a les «Occupy». «Occupy» représente ceux qui viennent du milieu radical, qui ont pour tactique de «prendre la rue», ceux qui se sentent capables de faire des actions radicales (souvent les non immigrés à cause des lois sur l’immigration qui sont très dures pour ceux qui se font arrêter). Ceux qui sont moins militants ont un rôle important, ce sont eux qui propagent le message dans la «masse», dans les «99%»…

Nous sommes très inclusifs, il me semble, j’ai vu des anarchistes, des communistes, des socialistes ou en tout cas des militants qui s’identifient à ces courants de pensée. J’ai vu aussi des conservateurs que les banques ont plumés jusqu’à ce qu’ils perdent leur maison. On reste assez ouverts, parce que les lignes entre libéraux et conservateurs ou je ne sais comment les appeler sont en train de bouger; on met tous ceux qui sont atteints par la crise sous la coupe des «pauvres», des «99%» et ceux qui partagent nos analyses sont les bienvenus.

Quels éléments peuvent caractériser le mouvement ?

C’est drôle, mais je n’arrive pas à le synthétiser en quelques mots. Personnellement, je ne peux parler que d’Occupy Wall street pas des autres occupations dans le pays, nous sommes des mouvements différents, nous nous coordonnons, du moins nous essayons, mais personne ne dit «vous devez faire ça», chaque mouvement s’organise en fonction de ce que les gens souhaitent faire pour leur communauté.Occupy Wall Street est un mouvement qui repose sur deux éléments : les institutions que nous voulons transformer, et les alternatives que nous voulons construire. Une chose importante, ce sont les inorganisés qui se joignent massivement, ça me rappelle un peu le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis avec d’un côté les «Black Panters» très militants, radicaux, dans la rue, et de l’autres les mouvements pacifistes, les religieux civiques, et les étudiants.

On a un peu le même phénomène avec des acteurs différents. On arrive réellement à mettre toute la société américaine en mouvement avec les thèmes de l’écologie, du féminisme, de la lutte contre le patriarcat et on analyse ces problèmes de fond en les liant autour de la critique du capitalisme. Pour la première fois aux États-Unis on peut se dire «anticapitalistes» et c’est devenu légitime. Aucun homme politique ne peut plus parler de «capitalisme», c’est devenu un gros mot. C’est quand même assez énorme que ceci arrive aux USA. On est en train de changer les bases de la narration dominante, c’est juste incroyable !

Quelles ont été les actions principales, quelles sont les stratégies, les tactiques du mouvement ?

Au début, on manifestait tous les jours. Tous les matins à l’heure de la cloche qui signale le début des marchés, on bloquait la rue pour que les travailleurs de la bourse ne puissent pas arriver. Tous les jours, à 8h pendant 2 heures… Et également pour la cloche de fin à 16h. Nous voulions concrètement déranger le fonctionnement du Marché. Mon action préférée a été pendant le 15 octobre, à l’appel des indignés, c’était une journée internationale mais c’était plus que ça, c’était une célébration.

Nous n’avions pas de cible particulière, tout ce que nous voulions c’était créer une vraie rupture. Nous avons en fait voulu traiter différents thèmes : l’écologie, l’éducation, le travail… et nous sommes tous allés dans différents endroits représentatifs, pour finalement nous rejoindre à Time square qui est le symbole mondial de la société de consommation. Il y a eu une énorme manifestation et c’était fantastique. On ne voit pas souvent des manifs avec des gens qui dansent, des gens qui chantent, c’était nouveau et différent des manifs traditionnelles américaines, il y avait même des groupes de musique dédiés aux manifs. Le 6 décembre, on a installé des familles dans les maisons saisies, elles sont restées 2 mois, on s’est battu contre les banques pour qu’elles restent. On a installé des familles dans les banques aussi. On a mis des panneaux «saisie» sur les banques… Oui, on aime bien prendre les banques pour cible, et c’est un mouvement également très drôle et créatif.

Quelles sont les perspectives après les occupations de parcs ?

Nous sommes en train de mieux nous structurer en interne et nous coordonner. Parce que le processus d’assemblée générale est très compliqué, cela peut devenir trop «local». Comme y participe des communautés, les AG peuvent se concentrer sur des enjeux très localisés. Ou au contraire, il y peut y avoir des discussions trop complexes où les gens ne peuvent pas s’insérer et s’impliquer. Or, nous voulons avoir les trois échelons, le local, le national et l’international en permanence dans les discussions et les prises de décision. Nous sommes dans une phase d’évaluation pour continuer à rassembler encore plus de monde et fonctionner de manière plus fluide.

Nous pensons à d’autres actions comme occuper des usines, reprendre d’autres espaces en fonction des volontés et des capacités que nous avons. Mais en s’assurant que ce sont les travailleurs qui le font: moi je vis à Brooklyn, et je ne vais pas aller dire à quelqu’un «vas occuper une usine», s’ils ont besoin d’aide, j’y vais sans hésitation. Nous avons comme objectif de lancer un grand «printemps d’Occupy» puis l’été…

 Nous pensons que les étudiants vont être encore plus présents, car l’endettement devient critique pour eux d’autant plus qu’ils ne trouvent pas d’emplois et ne peuvent plus rembourser leurs prêts. Bon, pour moi qui vit dans les communautés, ces choses sont quotidiennes depuis longtemps car nous sommes des communautés d’immigrés, d’afro-descendants, et ça a toujours été comme ça, mais maintenant les classes moyennes sont en train de se rendre compte de ce que vivent les classes populaires depuis toujours. Et maintenant on essaie de mettre cette question des classes au centre des discussions: pourquoi y a t-il des classes dans cette société, à quoi ça sert ? Pourquoi ne sommes-nous tous pas égaux?

C’est assez bien en fait que les problèmes arrivent aux classes moyennes aussi, parce que maintenant la classe ouvrière n’est plus la seule à dire «nous traversons des temps difficiles!». Et nous devons continuer, faire que la classe moyenne commence elle aussi à dire «Tout le monde doit être égaux» et «le capitalisme ne fonctionne plus». Parce qu’aux Etats-Unis, il y a eu pendant longtemps l’idée reçue que le capitalisme protège toujours les classes moyennes. Donc on mise vraiment là-dessus, et on espère que le printemps et l’été verra une mobilisation massive d’étudiants, puisqu’ils n’auront pas cours… Je crois vraiment qu’on va avoir de fortes mobilisations populaires, à commencer par le 1er mai, je suis vraiment impatiente! Également, nous sommes en train de nous interroger sur ce que pourrait donner un boycott. L’idée de retirer l’argent des banques ou de boycotter massivement une entreprise ou autre est une chose que l’on étudie aussi, ça a été déterminant dans le mouvement des droits civiques. Et ce serait génial si on pouvait dire «retirez votre argent des banques classiques!» et commencer à bâtir des alternatives à la finance.

Propos recueillis par Esther Vivas

 

 
 
 
 

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