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Oct 27

Nihil novi sub sole I : La fin d’un monde

Le vieil ordre expire.

Comme un malade en péril se préoccupe de ce qu’il trouvera dans la tombe, une nation qui se sent défaillir s’inquiète de son sort futur.

Il n’existe plus rien : autorité de l’expérience et de l’âge, naissance ou génie, talent ou vertu, tout est nié ; quelques individus gravissent au sommet des ruines, se proclament géants et roulent en bas pygmées.

Excepté une vingtaine d’hommes qui survivront et qui étaient destinés à tenir le flambeau à travers les steppes ténébreuses où l’on entre, excepté ce peu d’hommes, une génération qui portait en elle un esprit abondant, des connaissances acquises, des germes de succès de toutes sortes, les a étouffés dans une inquiétude aussi improductive que sa superbe est stérile.

Des multitudes sans nom s’agitent sans savoir pourquoi, comme les associations populaires du moyen âge : troupeaux affamés qui ne reconnaissent point de berger, qui courent de la plaine à la montagne et de la montagne à la plaine, dédaignant l’expérience des pâtres durcis au vent et au soleil.

Dans la vie de la cité tout est transitoire : la religion et la morale cessent d’être admises, ou chacun les interprète à sa façon. Une renommée palpite à peine une heure, un livre vieillit dans un jour, des écrivains se tuent pour attirer l’attention, autre vanité : on n’entend pas même leur dernier soupir.

On oublie que les vraies larmes sont celles que fait couler une belle poésie et dans lesquelles se mêle autant d’admiration que de douleur ; Il ne tombera plus du génie de l’homme quelques−unes de ces pensées qui deviennent le patrimoine de l’univers.

Voilà ce que tout le monde se dit et ce que tout le monde déplore, et cependant les illusions surabondent et plus on est près de sa fin et plus on croit vivre. On aperçoit des monarques qui se figurent être des monarques, des ministres qui pensent être des ministres, des députés qui prennent au sérieux leurs discours, des propriétaires qui possédant ce matin sont persuadés qu’ils posséderont ce soir.

L’invasion des idées a succédé à l’invasion des barbares ; la civilisation actuelle décomposée se perd en elle−même ; le vase qui la contient n’a pas versé la liqueur dans un autre vase ;

C’est le vase qui s’est brisé ;

Châteaubriand       Mémoires d’outre tombe

 

 

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