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Nov 22

Minuit moins une

Le parallèle ne peut pas manquer d’être tracé, tant il est flagrant : les républicains bloquent tout compromis avec les démocrates sur la réduction de la dette américaine, au nom de leur refus principiel de toute augmentation des impôts ; les partisans allemands de ce qu’Angela Merkel a appelé « une solution politique » contribuent à l’effondrement de la zone euro tout en préconisant son renforcement, allant jusqu’à voir dans l’approfondissement de la crise une opportunité de l’obtenir.

Dans les ceux cas, des certitudes doctrinales inébranlables et une cécité d’ordre idéologique sont à la source de la même intransigeance et précipitent vers des désastres. A court terme en Europe, par la suite aux États-Unis.

L’Espagne a pris la corde dans la compétition qui l’oppose à l’Italie, dont l’enjeu est de tomber le premier dans le trou. Comme il était prévisible, la France a pris sa place sur la ligne de départ, avec l’Autriche à ses côtés, qui est affectée par l’exposition de ses banques en Europe centrale et de l’Est. Jacek Rostowski, le ministre polonais des finances, a déclaré à la Frankfurter Allgemeine Zeitung « Nous sommes devant un choix horrible. Dans l’ordre des horreurs, l’alternative est la suivante : soit une intervention massive de la BCE, soit la catastrophe ». Jean Peyrelevade, désormais président de la banque d’affaires européenne Leonardo, après avoir été celui du Crédit Lyonnais, estime que « si l’on ne fait pas intervenir la BCE, tout pétera », la création d’euro-obligations ne servant désormais plus à rien, « car toutes les dettes des États sont attaquées ».

Selon Jens Weidmann, son président, l’Allemagne est le « pilier de la stabilité » de l’Europe, détenteur d’une « responsabilité particulière ». Elle doit donner le « bon exemple » et être gardienne d’une « politique monétaire européenne de stabilité ». A cet égard, la Bundesbank reste opposée à toute émission d’euro-obligations, tardivement préconisées suivant différentes versions à la carte par la Commission de Bruxelles, qui tente de se trouver un rôle. Chaque pays doit se présenter seul devant les marchés pour recueillir sa confiance, selon Jens Weidmann : « La pression que fait naître le paiement de taux d’intérêts élevés peut être salutaire et est une incitation forte à des réformes et des finances publiques saines », tire-t-il comme conclusion, montrant où il place son sens des responsabilités.

Ne se cachant plus, les pressions en faveur du déblocage de l’intervention de la BCE sont désormais généralisées à toute l’Europe. Aux Britanniques, Français, Espagnols et Italiens, qui poussent au déblocage de la situation, se sont plus discrètement joint la Commission, dont l’un des membres voit la BCE comme « l’alternative principale » à la contagion de la crise, ainsi que l’Ambassadeur américain auprès de l’Union européenne, qui vient d’évoquer « le potentiel qu’elle a de faire davantage ».

Mais les Allemands restent intraitables ! La Fédération allemande des banques privées (BdB) a expliqué que ce serait « une atteinte directe à l’idée de l’union monétaire comme union de stabilité » et que, si l’Europe se trouve bien placée à un tournant, c’est aux politiques de le négocier, réaffirmant la conviction d’Angela Merkel que seules des mesures de consolidation budgétaire et des réformes structurelles pouvaient permettre de le négocier.
Le bras de fer qui est engagé peut très facilement déraper et devenir incontrôlable. La réponse très négative donnée par les marchés à la victoire de la droite espagnole montre que la stratégie de réduction à marche forcée des déficits n’est pour eux pas crédible. Ils donnent une leçon sans appel aux dirigeants européens qui veulent encore croire à leur stratégie. L’intervention de la BCE, si elle devait finalement intervenir devant l’imminence de la catastrophe, alignerait la crise de la dette européenne sur celle des États-Unis, qui bénéficient du soutien de la Fed. Elle permettrait de gagner du temps, mais ne réglerait elle aussi rien pour autant.

Sans être annoncés, les préparatifs et plans en vue d’un brutal passage à une phase aiguë de la crise battent leur plein dans les établissements financiers, au sein des gouvernements… et des rédactions. Parmi ceux-ci figurent la réduction, qui se poursuit et s’intensifie, de l’exposition des fonds monétaires américains aux banques françaises. Car si la zone euro devait éclater, les banques européennes en subiraient de plein fouet les effets, accroissant notamment les risques sur les obligations souveraines qu’elles détiennent.

Angela Merkel, Mario Monti et Nicolas Sarkozy avaient affirmé jeudi dernier prendre « toutes leurs responsabilités afin d’assurer la stabilité, la prospérité et la force de la zone euro dans son ensemble ». Ils vont avoir une occasion de le montrer – qui pourrait être la dernière – jeudi prochain à Strasbourg, où ils vont tenir un mini sommet. Les ministres des finances se réuniront le 29 novembre prochain, le prochain sommet européen aura lieu le 9 décembre. Réglons nos montres !

Extraits d’un article de François Leclerc « Réglons nos montres » sur le blog de Paul Jorion : www.pauljorion.com

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