« le rentier et le spéculateur dominent le cadre et l’entrepreneur : le passé dévore l’avenir ».
Th. Pikety
Combattre la société des rentiers
Compte rendu | | 12.11.11 | 14h19 • Mis à jour le 12.11.11 | 14h21
Le sociologue Christian Baudelot insiste sur cette nouvelle donne sociale qui consacre le triomphe de l’héritage sur le mérite. Car le flux annuel de patrimoine immobilier et financier transmis par voie d’héritage atteint les 15 % en 2010, alors qu’il n’était que de 5 % en 1950.
Or « une méritocratie menacée, c’est une démocratie en péril », s’alarme Christian Baudelot. Car l’idéal démocratique repose sur les égales capacités de chacun et le pouvoir de n’importe qui, non pas sur les biens hérités et les acquis transmis. Un principe que l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 avait d’ailleurs déjà consacré : « Tous les citoyens (…) sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
A l’heure de l’avènement d’une nouvelle « société des rentiers », les frontières des inégalités se sont donc déplacées. Davantage que le sexe, ce sont aujourd’hui plutôt l’origine ethnique (Magali Bessone), le logement, le capital culturel et la stabilité professionnelle (Christian Baudelot) qui sont les marqueurs du déclassement. Irréductible à l’isolement, la solitude frappe ruraux et urbains « désaffiliés », les populations reléguées ou en rupture de ban avec la société, loin de la sociabilité numérisée d’individus bien intégrés et hyper-connectés (Cécile Van de Velde).
Implacable constat d’une société plongée dans la récession mais aussi dans la régression. Pourtant, il faut aller « au-delà de l’indignation « , indique Pierre Rosanvallon. Et imaginer de nouveaux horizons, rouvrir la promesse d’émancipation. Réformer le droit de l’entreprise pour sortir de l’emprise de l’actionnariat (Armand Hatchuel et Blanche Segrestin) et inventer une politique de gauche qui donnerait priorité à l’égalité, à l’individu et à la démocratie (François Dubet).
Certains trouveront le constat trop sévère. D’autres les solutions proposées par la République des idées trop timorées, notamment lorsque, en matière d’égalité, elle s’autorise simplement à se « poser la question de la limitation des très hauts revenus ».
Si le spectre de la rente hante nos sociétés, la République des idées ne penche pourtant pas pour la démocratie radicale d’un XIXe siècle révolutionnaire et libertaire, notamment mise en scène par le philosophe Jacques Rancière dans La Nuit des prolétaires (1981). Résolument « réformiste », elle oscille entre mesures tranchantes et volonté de « ne pas céder à la facilité ».
Ainsi, dans un effort salutaire de refaire société, La République des idées cherche à sa manière à prolonger la portée d’un élan qui traverse le temps : rompre les fiançailles de la naissance et de l’argent.
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