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Avr 28

Les certitudes

 

Tout bien considéré, parmi les mathématiciens célèbres, il en est assez peu qui aient commis cette obscénité, enseignée pourtant dans presque toutes les unités universitaires de la fabrique des cerveaux, de vouloir coller à tout prix aux préoccupations de leur époque. Encore moins nombreux sont ceux qui ont tiré leur époque à eux, comme on tire sur une nappe, pour diriger vers la panse gargantuesque de leur systématique les régions du génie humain qui échappaient encore à leur insatiable appétit.

Non, et cela est heureux, le monde n’est pas mathématique, pas plus qu’il n’est physique ou philosophique. Il est toute sorte de choses en même temps, dont beaucoup d’inconnues et d’instables qui excèdent les limites disciplinaires où notre entendement troglodytique, confondant savoir et possession, s’efforce de les enfermer.

« Historiquement, la statistique s’est imposée en sciences sociales avant de révolutionner la physique ; mais si en physique on a pu mettre en relation le comportement microscopique des molécules avec le comportement macroscopique des fluides, l’exemple de l’économie nous montre que cela est bien plus difficile quand les fluides sont remplacés par des populations d’êtres humains, avec leur culture et leur imprédictibilité. »

                                                                                                             C.Villani

Si la statistique a pris les sciences sociales pour premier champ d’expérimentation, sachant que les sciences sociales traitent justement des phénomènes humains, rien de bien probant n’a dû en ressortir. La Comédie humaine s’en est bien passée, du reste, qui nous en apprend plus sur le siècle de Balzac que tous les arpenteurs de l’histoire. Cela expliquerait que la statistique soit allée investir le champ voisin de la physique, avec un peu plus de succès cette fois.

Cette affaire Reinhart et Rogoff m’en rappelle une autre, qui montre à quel point la crédulité est le savoir le mieux partagé, et pas seulement en haut lieu : le système métrique, notre bon vieux système métrique, vous savez, celui qui a balayé les mesures à géométrie variable de l’Ancien Régime, le système métrique, disais-je, repose sur une erreur de calcul. – Pardon ? – Le mètre est trop court de deux millimètres ; deux millimètres, c’est infime en soi, mais c’est énorme quand on prétend à l’exactitude.

 C’est l’astronome Méchain qui a commis l’erreur. Son compagnon, le mathématicien Delambre, l’avait repérée mais il a délibérément choisi de la taire. Il se justifie en ces termes dans ses notes : « … je n’ai pas dit au public ce qu’il n’a pas besoin de savoir. J’ai supprimé tous les détails qui risqueraient de diminuer sa confiance en une mission aussi importante […]. J’ai soigneusement passé sous silence tout ce qui pourrait nuire, ne serait-ce qu’un peu, à la bonne réputation qu’a légitimement méritée monsieur Méchain. »

C’était témoigner de bien peu de confiance en la science que de ne pas imaginer qu’un jour un nouveau calcul, fait avec des outils plus précis, pût éventer la supercherie. Un étalon faux, il fallait le faire.

 Mais après tout, à voir comment notre République s’administre, on peut se demander si ce faux étalon n’est pas l’emblème parfait d’une démocratie falsifiée.

Extraits d’un article de Bertrand Rouziès Léonardi sur le blog de Paul Jorion www.pauljorion.com

 

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