[“On ne peut pas résoudre un problème avec le système de pensée qui l’a engendré.” Il faut donc en être sorti pour commencer à voir.]-alpha.b
Une génération face à des défis complexes.
Celui qui accompagne les évolutions de l’économie depuis plus de 60 ans a d’abord dressé un tableau édifiant de la période actuelle : “Je ne crois pas que, depuis que nous connaissons l’histoire, une génération n’ait eu à résoudre autant de défis et de complications”, estime l’ancien Premier ministre.
Désormais, “la somme chômage plus précarité plus pauvreté atteint 30% de la population des pays développés”, entraînant avec elle “la désaffection démocratique, la diminution du taux électoral et la montée en puissance des partis protestataires”.
Un fossé béant s’est désormais créé entre riches et pauvres, risquant d’engendrer bien d’autres complications, notamment en France. “Une société qui ne s’intéresse qu’à l’argent ne peut pas fonctionner correctement
L’ancien Premier ministre désapprouve l’état actuel de la société qui “désapprend l’art de vivre ensemble”. Une référence au fameux économiste britannique John Maynard Keynes – cité régulièrement par Michel Rocard – qui prédisait en 1930 dans ses Perspectives économiques pour nos petits enfants : “Ce seront les peuples capables de préserver l’art de vivre et de le cultiver de manière plus intense, capables aussi de ne pas se vendre pour assurer leur subsistance, qui seront en mesure de jouir de l’abondance le jour où elle sera là.” Ce “giron de l’abondance économique”, Keynes le voyait advenir en 2030 favorisé par des “hommes d’argents énergiques et résolus”.
L’économiste britannique planifiait que 100 ans après l’écriture de son livre, sans accroissement important de la population et sans grande guerre, le problème économique serait résolu. L’homme n’aurait alors plus à se battre pour sa subsistance et ferait “en sorte que le travail qui restera encore à faire, soit partagé entre le plus grand nombre possible. Des postes de trois heures par jour ou de 15 heures par semaine reporteront le problème pour un bon moment”, écrivait Keynes, cité par Michel Rocard sous les ors du salon Hoche.
Keynes apportait toutefois un bémol important à son raisonnement. Selon lui, le danger résidait dans l’incapacité de l’homme à s’adapter à ce monde d’abondance, oubliant la répartition adéquate des ressources et des forces de productivité. Il craignait que “l’amour de l’argent comme objet de possession” ne vienne enrayer ses prédictions et ne provoque une “dépression généralisée” où le chacun pour soi l’emporte sur le souci du bien commun. “Il m’apparaît chaque jour plus clairement que le problème moral de notre temps est celui que pose l’amour de l’argent : les neuf dixièmes de nos activités sont orientées par l’appât du gain (…) ; l’argent est socialement reconnu comme la mesure de la réussite”, écrivait-il.
Le désordre financier international
Michel Rocard considère que Keynes n’était pas loin de la vérité. Surtout à partir du début des années 1970, qui a marqué le passage d’un système de changes fixe instauré avec les accords de Bretton Woods en 1944, et dont Keynes était l’un des principaux protagonistes, à un système de changes flottant. “Août 1971 est la date qui fait entrer notre monde dans le désordre financier international”, tranche Michel Rocard devant son auditoire.
Selon lui, la mise en place d’un tel système de changes a engendré le développement de l’ingénierie financière ; en premier lieu par la création de produits dérivés censés assurer les évolutions malvenues de prix sur les marchés financiers. S’en est suivie une multitude d’innovations qui ont dicté l’évolution de la finance jusqu’au désastre que l’on a connu en 2008.
Difficile d’en sortir
En somme, l’ancien Premier ministre craint qu’il soit difficile de sortir de cette spirale négative.
D’autant qu’il juge le niveau de connaissance de la société sur sa situation trop faible. “On ne saurait s’en sortir sans comprendre ce qu’il se passe”, estime-t-il. A cet égard, il fustige un monde politique et médiatique dominé par l’audiovisuel, à la recherche du propos choc et du sensationnalisme, avec pour seul horizon d’occuper immédiatement tout l’espace. Michel Rocard déplore ainsi la mort lente de la presse écrite, “la disparition” des visions de long terme et “le refus du complexe” de notre société qui conduit à “l’ignorance générale sur l’économie en France, et parfois même des personnels de direction des entreprises
Comme Keynes l’a fait avant lui, Michel Rocard estime que la priorité absolue doit être donnée à la baisse du chômage. Ne serait-ce que pour la bonne santé des finances publiques, puisqu’un travailleur ne reçoit pas d’allocations publiques et paie des impôts.
“Sauver les retraites exige une baisse du chômage”,
Extraits d’une intervention de Michel Rocard
Par Mathias Thépot
Source : la tribune.fr
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