[Voilà ce qu’il ne faut pas faire, et que pour l’instant on fait, alors que faut il faire ? Changer de cadre]-alpha.b
A plus d’un demi-siècle de distance, la lucidité de Keynes contraste avec l’aveuglement des dirigeants européens. Enferrés dans une course à l’austérité aussi vaine que cruelle, ils ont oublié sa leçon principale : non, le capitalisme n’est pas capable de s’autoréguler.
Trois idées essentielles avancées par Keynes font particulièrement sens aujourd’hui.
Premièrement, dans un contexte de crise, les politiques d’austérité ne font qu’aggraver le mal ; on le constate à nouveau alors que l’Europe plonge dans la dépression. Deuxièmement, les inégalités et, en particulier, les revenus de la finance plombent la dynamique économique, il convient donc d’ « euthanasier les rentiers ».
Troisièmement, l’ajustement des déséquilibres commerciaux ne doit pas reposer sur les seuls pays déficitaires au risque, là encore, d’aggraver la situation macroéconomie. Or, en arrière fond de la crise actuelle de la zone euro, se trouvent des déséquilibres commerciaux : l’ajustement repose sur les seuls pays périphériques déficitaires étranglés par leur endettement tandis que des pays excédentaires, au premier rang desquels l’Allemagne, refusent de renoncer à leurs surplus. Cette voie ne peut conduire qu’à davantage de chômage, de pauvreté et, in fine, à l’éclatement de la zone euro.
La source fondamentale de la crise actuelle, c’est le déclin régulier de la vitalité des économies capitalistes avancées depuis trois décennies. L’un des économistes marxistes contemporains les plus importants, Robert Brenner, montre que cycle après cycle, l’investissement ralentit parce que celui-ci devient de moins en moins profitable.
Avec l’industrialisation rapide du monde au cours du dernier demi-siècle, les capacités de production excédentaires se sont multipliées dans toutes les industries clés. Ce constat peut sembler étrange, vu les profits insolents affichés par les grandes entreprises en Europe comme aux États-Unis. Mais, de plus près, le paradoxe n’est qu’apparent. Les profits extravagants ne proviennent pas seulement d’une détérioration de la position des salariés ; les marges gagnées sur les prix des intrants grâce aux délocalisations et les multiples aides et baisses de la fiscalité consenties par les gouvernements ont bien plus compté pour la profitabilité des grandes firmes que les retours sur les investissements productifs.
En parallèle, à mesure que les profits escomptés des investissements productifs reculent, les prétentions à des revenus futurs via les placements financiers s’accumulent. Financiarisation, mondialisation et désindustrialisation ont ainsi partie liée dans la crise.
L’épuisement de la dynamique industrielle n’est pas seule en cause. Keynes avait pressenti les bouleversements qu’impliqueraient l’éloignement de l’empire de la nécessité dans des sociétés développées devenues opulentes : « L’amour de l’argent pour lui même sera reconnu pour ce qu’il est : une sorte de morbidité dégoûtante ».
Si pourtant la misère matérielle persiste, voire s’ aggrave, cela n’a plus rien à voir avec des capacités productives insuffisantes. Sont dorénavant en cause les inégalités tout autant qu’un mode de construction des besoins entièrement soumis aux impératifs du profit : certains manquent toujours d’un logement mais des départements marketing hypertrophiés s’arrachent notre attention, instillant dans notre cerveau un consumérisme insoutenable.
S’interroger sur l’utilité et la qualité de ce que produit l’activité économique devient la question principale. Une question que ne peuvent ignorer les résistances qui s’organisent face à l’austérité.
Pourquoi se battre ? Au cours du XXe siècle, l’élévation collective du niveau de vie matérielle –plutôt que la démocratie économique– s’est progressivement affirmée comme l’enjeu central des luttes syndicales, laissant la porte ouverte à l’essor du consumérisme individuel.
Face aux dévastations de l’austérité, la tentation d’un retour au jeu de miroir typique des années d’après-guerre entre macroéconomie keynesienne et hausse du pouvoir d’achat est forte. Il serait suicidaire d’en rester là.
L’exigence de l’heure n’est pas de relancer la folle machine, mais de construire des instruments collectifs pour redéfinir ce que sont des standards de vie désirables. Construire une planification démocratique et décentralisée de cette grande transition sociale et écologique, telle est, au fond, la réponse à apporter à la crise.
Extraits d’un article sur Médiapart Cédric Durand, économiste à l’Université Paris 13, et Danièle Obono,.
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