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Fév 14

La brèche

Ce qui est en jeu est bien plus important que tout ceci, ce qui est en jeu est tout simplement la survie d’une religion féroce, défendue par tous les moyens par des prêtres serviteurs du dogme.

Car dès lors que la moindre ‘faveur’ ou ‘dérogation’ serait accordée à tel ou tel, tel autre voudrait alors la solliciter pour lui-même (voir même pour tous les autres !) ce que l’on refusait obstinément jusqu’alors à quiconque.

Ce serait ouvrir ainsi une brèche dans le credo d’une foi qui ne peut être remise en question, mettant ainsi en débat le pouvoir illimités d’une religion sacrificielle et doloriste, où le paradis n’est point en Europe mais dans les traités de sciences économiques, pour laquelle ceux qui en endossent les habits auto-consacrés en exercent automatiquement le pouvoir associé.

 La Troïka, cette moderne inquisition européenne, ne peut être rejetée par des populations considérées membres de fait de cette religion dès leur naissance, sous peine justement d’être accusées de cacher ‘quelque chose’, ce ‘quelque chose’ qui justifie précisément que l’inquisition ait été créée : le diable étant omniprésent, même et surtout dans les détails, que tous et tout soient assujettis et contrôlés, sans cesse, même et y compris les  communiants les plus fervents d’entre eux.

Dès lors, quand un Tsipras et un Varoufakis se dressent pour refuser la Troïka, arguant que leurs ‘péchés’ ont déjà été expiés par le prix des larmes, demandant l’absolution et le droit à ne plus vivre que sous les propres lois de la religion européenne et non plus seulement sous celle de la terreur inquisitoriale de la Troïka, ils ne reçurent que le rappel des fondements du dogme.

Pire, quand ils osèrent remettre en cause ces mêmes fondements, faisant la démonstration de leur incohérence et de leurs effets délétères, ils furent menacés d’excommunication de la foi dans l’ordo-libéralisme, en les expulsant de l’euro unique et qu’on leur retire à terme le bénéfice de la bénédiction du renouvellement de la dette publique, tout en plaçant les banques grecques sous la menace d’une fin possible de l’ordonnancement des saints sacrements de la liquidité.

Que sainte ‘Emergency Liquidity Assistance’ soit avec nous!

La question n’est donc pas de savoir si le chantage d’une excommunication parviendra à convaincre un Tsipras et un Varoufakis de rentrer dans les rangs de l’Église : ceux-là savent qu’ils n’ont rien à attendre de celle-ci.

 Et la question n’est pas non plus de savoir si le chantage au schisme religieux, qu’il soit dû à l’excommunication de l’Inquisition et de l’Église ou à la sortie volontaire par la Grèce de l’Église comme par un anglicanisme débutant, pourra imposer aux participants de cette guerre de religion européenne l’apaisement des esprits nécessaire pour entrer en négociation comme on entre en résipiscence.

 Car de fait, la question dépasse et de loin la nature des acteurs, leurs pouvoirs ou leurs faiblesses : c’est bien de l’existence d’une religion dont nous parlons.

On peut ainsi voir dans le discours même des institutions européennes que le simple fait de ‘demander’ la reconduction du plan d’aide et l’acceptation de l’existence et de l’action de la Troïka (quitte à ne plus la nommer ainsi, tant il est vrai que dans la pensée magique de ces institutions, ne plus nommer c’est retirer du fait même le pouvoir) suffiraient à permettre la négociation, et donc la reconduction de l’accès aux liquidités européennes.

Ce qui compte, in fine, ce n’est pas tant ce qui est ou ce qui est dit, mais bien ce qui est fait, au sens d’une acceptation, même de façade, des dogmes de la religion européenne. Ne pas accepter cela publiquement, c’est cracher sur ces dogmes, c’est insulter l’Église européenne et ses prêtres.

Voilà pourquoi nous, Européens, allons entrer dans une de nos guerres de religion comme nous les aimons tant depuis des siècles, non pas tant parce que la Grèce aura été humiliée pour pouvoir arriver à négocier, ou parce qu’elle aura été excommuniée de l’euro, mais bien parce que cette volonté de réforme ainsi exprimée sera marginalisée puis combattue afin que les dogmes, l’Église et ses prêtres puissent perdurer en Europe.

Nous aurons donc nos ‘Protestants’ à nous, qu’ils soient Grecs aujourd’hui, Espagnols demain, Irlandais ensuite.

Nous aurons nos excommuniés, nous aurons nos ligues et nos factions, au sein de nos pays, de nos partis.

Et quand nous serons épuisés, écœurés par nos propres combats, demain ou dans plusieurs années, dans une Europe exsangue et menacée par le fascisme, nous déciderons peut-être alors de jeter aux orties cette ‘science économique’ qui prétend détenir seule la vérité et qui s’est érigée en nouvelle religion de l’Europe.

Excommunier ou faire plier la Grèce n’y changera rien. D’autres prendront la relève, d’autres protesteront.

Extraits d’un article de Zebu sur le blog de Paul Jorion  www.pauljorion.com

 

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