Les Pays dits avancés ne sont pas une démocratie. Il est plus rigoureux de dire que nous vivons dans une ploutocratie — un gouvernement des riches, par et pour les riches — ou plus exactement encore, dans une kleptocratie — un gouvernement qui a pour principe premier d’organisation le vol :
qui vole les pauvres, qui vole la Terre, et qui vole le futur.
Mais il y a un problème bien plus profond que le fait que nous ne vivions pas en démocratie, un problème plus profond encore que notre incapacité à reconnaître le fait que nous ne vivions pas en démocratie : le fait qu’il y ait véritablement un aspect selon lequel nous vivons vraiment en démocratie. Ses implications sont de très mauvais augure pour la planète.
Ce n’est pas tant lié à la façon dont nous sommes gouvernés qu’à ce que nous voulons, et faisons. S’il est vrai que, comme quelqu’un l’a dit il y a longtemps, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez, il devient clair que, pour reprendre l’expression de ma mère, la majorité des gens de ce pays se moquent de la santé de la planète comme de l’an quarante.
Mais il y a pire, car la plupart des gens ne reconnaitront pas, même envers eux-mêmes, qu’ils font ces choix.
Tous les choix effectués machinalement, à la longue (au niveau personnel et à échelle sociale), cessent de passer pour des choix et passent pour des impératifs économiques, des inéluctabilités politiques, ou simplement l’état des choses.
Trop de gens prétendent — ou plutôt, ne prétendent pas, mais supposent allègrement — que nous n’avons pas à choisir entre les rivières vivantes et les barrages, que nous n’avons pas à choisir entre une planète vivante et l’économie industrielle.
Mais je ne fais pas ici référence à la pensée magique. Je parle de la réalité, où, comme Bill McKibben le souligne si fréquemment et si éloquemment, vous ne pouvez pas débattre avec les lois physiques.
La notion selon laquelle nous n’aurions pas à choisir, selon laquelle nous pouvons avoir « les conforts et les luxes » (selon les mots d’un philosophe pro-esclavage d’avant-guerre) de ce mode de vie sans en souffrir les conséquences, que nous pouvons avoir les friandises de l’empire (pour nous) sans les horreurs de l’empire (pour les victimes), que nous pouvons avoir une économie industrielle sans détruire la planète, est absolument contrefactuelle.
Cette notion ne peut être avancée que par les bénéficiaires de ces choix, ou par ceux qui s’identifient à leurs bénéficiaires, c’est-à-dire par ceux qui ne se soucient pas, ou ne s’identifient pas avant tout aux victimes de ces choix. Cette notion ne peut être avancée que par ceux qui se sont rendus — consciemment ou pas — insensibles à la souffrance, et en fait à l’existence même de ces victimes.
Ce qui nous ramène à ce point de vue selon lequel nous vivons vraiment dans une démocratie. Cette lacune dans l’imagination — cette incapacité à se soucier — est au cœur de ce qui perpétue le fonctionnement de nos démocraties incroyablement destructrices.
Sans l’ombre d’un doute, la plupart des gens de cette culture préfèrent les « conforts et les luxes » à une planète vivante, et c’est ainsi que le vol, le viol et le pillage sont autorisés à régner.
Comme Upton Sinclair l’a dit, il est difficile de faire comprendre quelque chose à quelqu’un, quand son travail dépend du fait qu’il ne la comprenne pas.
Je dirais qu’il est difficile de faire en sorte que les gens se soucient de quelque chose lorsqu’ils bénéficient du fait de ne pas s’en soucier.
Cette démocratie destructrice que nous partageons est une démocratie où la plupart des gens votent — à travers leurs actions et leurs inactions, à travers leurs passions déclarées, à travers ce dont ils se soucient, et ce dont ils ne se soucient pas — avec et pour des prérogatives.
C’est pourquoi, si nous sommes vraiment honnêtes avec nous-mêmes, nous devrions utiliser le terme kleptocratie. La démocratie par, pour et de ceux qui bénéficient de la destruction complète de la planète.
Extraits d’un article de Derrick Jensen www.les-crises.fr
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