Combien il y en a comme cela et surtout combien il va y en avoir ? On peut toujours se donner bonne conscience en pensant que s’ils cherchaient vraiment, ils trouveraient !
Recherche n’importe quel job, désespérément
Lucie Coutant a tout noté. Chaque CV envoyé, chaque candidature spontanée, chaque fois qu’elle s’est déplacée. Des pages et des pages qui témoignent de ses échecs en matière de recherche d’emploi. Ce carnet de bord d’un chômage qui persiste n’a qu’un but : garder une trace de ses démarches au cas où Pôle emploi douterait de sa bonne volonté et venait à lui supprimer ses allocations.
Lucie Coutant a 28 ans. Elle a commencé cette lutte qu’elle partage avec tant d’autres en arrivant à Montpellier. C’était en février. Elle est titulaire d’un BTS « Management des unités commerciales ». Ce qu’elle voudrait, c’est travailler dans une boutique de vêtements. Les enseignes montpelliéraines ne considèrent pas ses expériences acquises au Canada où elle a vécu un an et demi. Idem pour les grandes marques qui ont pignon sur rue ici et ailleurs : l’accès y est tout aussi difficile.
A force de recherches infructueuses, elle est « un peu usée, fatiguée ». « Au point où j’en suis, je prendrais n’importe quoi », soupire-t-elle. Ce serait une expérience de plus pour cette jeune femme qui a été tour à tour factrice, serveuse, vendeuse ou encore standardiste.
Pôle emploi n’est qu’un vague partenaire. Son conseiller, elle ne l’a pas vu depuis mars. Elle aurait bien aimé, mais son téléphone sonne dans le vide et arriver à l’improviste à l’agence « ne se fait pas », lui a-t-on dit. Elle a déjà été au chômage il y a quelques années. C’était avant la fusion des Assedic et de l’ANPE. « Je pouvais l’appeler en cas de problème, il m’aidait bien, me donnait des contact.
Je n’étais pas pote avec lui, plaisante-t-elle, mais il s’occupait de moi personnellement. » Un manque que pallie de manière incomplète la formation qu’elle suit pour « redéfinir son projet professionnel ». Elle y a glané quelques tuyaux, quelques adresses mais rien de concret. Tout juste quelques conseils et un peu de contact humain que le service public de l’emploi n’a plus le temps, ni les moyens de lui offrir.
Le seul lien régulier qu’elle a avec Pôle emploi, ce sont des annonces par e-mail parfois très éloignées de ses compétences – « des trucs aberrants » – auxquelles elle se doit de répondre sous peine de radiation. On lui propose régulièrement des emplois loin de chez elle. Il lui faudrait une voiture, mais c’est financièrement impensable et elle ne peut pas compter sur les cars scolaires aux horaires bien peu adaptés.
« Ma maman m’a conseillé d’y aller à vélo », sourit-elle. Sa mère est employée d’Orange à Chartres, son père, cadre supérieur dans la même entreprise. A son âge, tous deux étaient déjà dans une situation stable. « Je n’ai pas 60 ans, j’ai encore un peu le temps ! » se rassure-t-elle.
Une fois par semaine, Lucie prend un bus qui l’amène hors de l’agglomération, dans une ville où elle va distribuer ses CV.
L’an passé, Lucie voulait quitter Chartres. Mais plutôt pour retourner au Canada. Elle économisait pour payer le visa. Mais les amours s’en sont mêlées et elle a suivi son compagnon parti étudier à Montpellier. « C’est une ville vivante, dynamique. Je pensais que ce serait facile.
J’étais attirée par le soleil et le sud », se souvient-elle. Finalement, malgré les inconvénients de la capitale, elle aurait préféré vivre en région parisienne. Elle est sûre qu’elle s’y lèverait le matin sans avoir à passer la journée nez à nez avec une pile de CV, sans passer son temps à éplucher les rares offres, sans prendre le bus pour aller le plus loin possible et proposer ses services à une énième boutique qui n’embauche pas.
Elle ne semble ni abattue, ni résignée, mais un peu lasse de crier dans le désert. En neuf mois, des centaines de candidatures, cinq entretiens et zéro job. Elle à beau être « acharnée », ça ne marche pas et elle doit se contenter de ce que lui verse Pôle emploi : 853 euros chaque mois, complétés par les aides au logement de son ami. Une somme vite engloutie par le loyer et la nourriture.
« Quand on y réfléchit, ce n’est pas normal de gagner de l’argent sans travailler », note-t-elle au détour d’une phrase où l’on parlait du mot « assistanat », revenu en force dans le débat politique. Lucie avoue ne pas comprendre que l’on puisse ne pas avoir envie de travailler. Pourtant, le discours ambiant l’agace. Parce qu’en période électorale, les responsables politiques crient tout haut « ce que les gens veulent entendre ». « Quand j’entends quelqu’un dire ‘quand on veut du travail, on en trouve’, j’ai envie de lui répondre ‘ta gueule' ».
Lucie estime à une dizaine par jour le nombre de candidatures envoyées depuis février. Bilan, 5 entretiens
La situation la mine. Il y a l’argent qui manque et les choix qu’il engendre, bien sûr. Mais ce n’est pas tout. La solitude qu’impose le chômage semble bien pire. Ses amis sont ailleurs. Son compagnon est plus jeune, ses copains sont tous étudiants et leurs préoccupations sont assez éloignées. « Vu l’écart d’âge, ses amis préfèrent les grosses soirées. Moi je préfère discuter. Ils ont un peu peur de moi et de mon âge avancé », rigole-t-elle.
Elle confirme ce qu’on nous avait déjà dit sur la vie montpelliéraine : on y fait facilement des rencontres qu’il est difficile de convertir en amitiés. Et puis, sortir sans le sou relève de l’impossible. « Je suis sociable, et tout ça me manque », dit-elle simplement.
Finalement, la situation la rend pessimiste. Sans boulot, elle n’attend plus grand-chose de cette ville. Le salut viendra d’un nouveau départ. A la fin de l’année universitaire, son ami poursuivra ses études ailleurs. A Paris peut-être. Ou alors au Canada. Elle ne cesse de le dire : elle rêve d’y retourner, tout y était plus simple.
Le Monde.fr
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