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Déc 20

Grosse fatigue

Hélas non, cela ne suffirait pas sauf sur un point c’est qu’en dormant ils ne pourraient pas faire (et dire) de bêtises.

La solution ne peut pas venir d’eux puisqu’ils sont une grosse part du problème.

La grande fatigue

Regardez-les : ils n’en peuvent plus. Après trois ans de crise, après les épisodes aigus qui ont frappé les pays de l’euro cet automne, après moult sommets décisifs achevés à l’heure du premier biberon, les dirigeants européens sont au bout du rouleau.

Angela Merkel a la voix claire mais les paupières en capote de fiacre et les coins de la bouche affaissés. Nicolas Sarkozy a le geste mécanique, le sourire las et des débuts de discours laborieux avant de retrouver son punch. Heureusement que le jeune papa quinqua n’a pas eu les jumeaux que lui prêta un temps la rumeur !

Dans les banques centrales, ce n’est guère mieux. Si Mario Draghi n’a pas encore l’air usé, son prédécesseur à la tête de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a brutalement blanchi sous le harnais monétaire. Outre-atlantique, Ben Bernanke vieillit tellement vite qu’il aura bientôt l’air aussi âgé qu’Alan Greenspan, qui a un quart de siècle de plus que lui. Seul Barack Obama semble tenir le coup. Les mauvaises langues expliquent que c’est parce que lui ne fait pas grand-chose.

La fatigue gagne aussi les financiers. Début novembre, le PDG portugais de la banque britannique Lloyds en pleine reconstruction, Antonio Horta Osório, a brutalement arrêté le travail pour cause de « burn out ». A la cérémonie des BFM Awards, un grand banquier parisien n’a pas compris pourquoi l’assistance, largement composée de dirigeants d’entreprise, a éclaté de rire au moment où il expliquait qu’il suffisait de pousser la porte d’une agence de son groupe pour obtenir un prêt.

La semaine dernière, un autre grand banquier a fait un joli lapsus devant un parterre de polytechniciens, confondant dépenses publiques et démence publique. Après le scandale Kerviel début 2009, le patron de la Société Générale, Daniel Bouton, avait perdu les pédales. Ces gens-là travaillent trop et sont incapables de l’avouer. Seul un ministre exténué comme Eric Besson a vendu la mèche en twittant par erreur un SMS devenu célèbre : « Quand je rentre, je me couche. Trop fatigué. Avec toi ? »

Cette fatigue profonde ne relève pas seulement du médical. Car de là aussi vient notre incapacité collective à sortir de la crise. L’exemple de l’Europe est limpide : il faut trouver de nouvelles solutions, concevoir des constructions différentes. Or le sommeil joue un rôle central dans l’imagination, comme l’explique le docteur Pierre Fluchaire avec maints exemples dans un parfait livre de chevet (« La révolution du sommeil », Robert Laffont, 1984). Victor Hugo a trouvé le thème central de la « Légende des siècles » en dormant. Richard Wagner était dans le même état lorsqu’il a composé l’ouverture de l’Or du Rhin. Quand il allait se coucher, Salvador Dali accrochait à l’entrée de sa chambre une pancarte sur laquelle était inscrit : « Silence, je travaille… » Les scientifiques aussi trouvent l’inspiration dans leurs rêves.

C’est ainsi que Niels Bohr pressentit la structure de l’atome. Ou qu’Albert Einstein fit le lien entre le temps et l’espace.

Dès lors, la solution est simple. « Qu’ils s’en aillent tous », comme le disait en titre de son livre Jean-Luc Mélenchon, aux cernes lui aussi creusés malgré ses efforts pour se remettre en forme l’été dernier. Qu’ils s’en aillent tous… en vacances.

Loin de tout, dans des endroits où le BlackBerry ne passe pas. Qu’ils se reposent pour poser les bonnes questions et trouver les bonnes réponses. Qu’ils partent dans les bras de Morphée. En faisant comme l’inventeur Thomas Edison ou le mathématicien Pierre-Simon de Laplace, qui dressaient juste avant de s’endormir la liste des problèmes à résoudre. Et s’ils veulent lire, qu’ils demandent à l’éditrice Odile Jacob les épreuves d’un livre qui sortira début janvier, où le docteur Jean-Pierre Danjean explique « comment vivre mieux malgré une fatigue chronique. »

Et s’ils ne trouvent jamais le bon moment, qu’ils fassent comme les Américains lors de la Grande Dépression. Le 6 mars 1933, le gouvernement avait décrété « Bank Holiday » : la fermeture de toutes les banques américaines jusqu’au 11 mars. Il s’agissait alors de vérifier leur solvabilité. Cette fois-ci, il faudrait décréter de vraies vacances. Interdiction d’aller au bureau ou même d’aller sur un site Internet professionnel pendant quinze jours. On se rendrait alors compte que les marchés à la fraction de seconde ne sont pas vitaux. Et nos gouvernants trouveraient peut-être dans leurs rêves les bonnes institutions pour sortir de la crise.

Jean-Marc VITTORI Les échos
Editorialiste

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