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Déc 23

Citation

Aujourd’hui, qui est le Prince ?

Extraits de « Traité sur l’origine, la nature, le droit et les mutations des monnaies »

De Nicolas Oresme (1355)

 

Extraits du CHAPITRE XVI

Le gain dans la mutation de la monnaie est contre nature

(…)

Il est naturel en effet à certaines richesses naturelles de se multiplier, tels les grains de céréales « que, semés, le champ rend avec force intérêt », comme dit Ovide (51), mais il est MONSTRUEUX et contre nature qu’une CHOSE INFECONDE ENGENDRE, qu’une CHOSE STERILE SOUS TOUS SES ASPECTS FRUCTIFIE ou SE MULTIPLIE d’elle-même, et l’ARGENT est une CHOSE DE CETTE SORTE.

Donc, lorsque cet argent rapporte du gain sans être engagé dans le commerce des richesses naturelles, selon son usage propre, celui qui lui est naturel, mais en étant converti en son semblable, comme lorsqu’on change une monnaie en une autre ou qu’on en donne une pour une autre, un tel profit est vil et contraire à la nature.

C’est par cette raison en effet qu’Aristote prouve, dans le livre 1 de la Politique (52), que l’usure est contre nature parce que l’USAGE NATUREL de la MONNAIE est qu’elle soit l’INSTRUMENT de PERMUTATION des RICHESSES NATURELLES, comme on l’a souvent dit.

Celui qui l’utilise d’autre façon commet donc un abus contre l’institution naturelle de la monnaie, car il fait en sorte que, comme dit Aristote, le denier engendre le denier, ce qui est contre nature.

(…)

 Extraits du CHAPITRE XV

Le gain que le prince tire de la mutation de la monnaie est injuste

Il me semble que la CAUSE PREMIERE et DERNIERE pour laquelle le PRINCE veut s’EMPARER du POUVOIR DE MUER les MONNAIES, c’est le GAIN ou PROFIT qu’il peut en avoir, CAR AUTEMENT, C’EST SANS RAISON QU’IL FERAIT des MUTATIONS si NOMBREUSES et si CONSIDERABLES.

Je veux donc encore montrer plus à fond qu’UNE TELLE ACQUISITION EST INJUSTE.
En effet, toute MUTATION de la MONNAIE, excepté dans les cas rarissimes déjà dits, IMPLIQUE FALSIFICATION et TROMPERIE et ne peut convenir à un prince, comme on l’a prouvé.

Donc, si le prince usurpe injustement cette chose déjà injuste en elle-même, il est impossible qu’il en tire un juste gain.

D’autre part, TOUT CE QUE LE PRINCE EN RETIRE DE GAIN, c’est nécessairement AUX DEPENS de la COMMUNAUTE.

Or, tout ce qu’un prince fait aux dépens de la communauté est une INJUSTICE et le fait, non d’un roi, mais d’un TYRAN, comme dit Aristote (49).

Et S’IL DISAIT, selon le MENSONGE HABITUEL DES TYRANS, QU’IL CONVERTIT ce PROFIT en BIEN PUBLIC, ON NE DOIT PAS LE CROIRE PARCE QUE, PAR UN RAISONNEMENT DE LA SORTE, IL POURRAIT M’ENLEVER MA CHEMISE ET DIRE QU’IL EN A BESOIN POUR LE BIEN-ETRE COMMUN.

De plus, selon l’apôtre (50), il ne faut pas faire « de mauvaises choses pour que de bonnes arrivent ».

On ne doit donc rien extorquer ignominieusement pour feindre ensuite de le dépenser à des usages pieux.

Au contraire, si le prince peut, à bon droit, faire une mutation simple de la monnaie et en retirer quelque gain, il peut, pour une raison analogue, faire une plus grande mutation et en retirer plus de gain, muer à plusieurs reprises et avoir encore plus de gain, faire une ou plusieurs mutations complexes et toujours amasser son gain des manières déjà expliquées.

IL EST VRAISEMBLABLE QUE, SI CELA ETAIT PERMIS, LUI OU SES SUCCESSEURS CONTINUERAIENT AINSI, ou de leur propre mouvement ou POUSSES PAR DES CONSEILLERS, parce que la NATURE HUMAINE INCLINE et TEND à S’ENRICHIR TOUJOURS DAVANTAGE QUAND ELLE PEUT LE FAIRE FACILEMENT.

Ainsi, le PRINCE POURRAIT ENFIN ATTIRER à lui PRESQUE TOUT L’ARGENT ou les RICHESSES de ses SUJETS et les REDUIRE à la SERVITUDE, ce qui serait FAIRE ENTIEREMENT PREUVE DE TYRANNIE et même d’une VRAIE et PARFAITE TYRANNIE, comme il ressort des philosophes et des histoires des anciens.

(49). Aristote, la Politique, V, 10 (1310b 40-1311a 1).
(50). Epitre de saint Paul aux Romains, III, 8.

 

 
 
 
 
 
 

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