[ Quand dans quelques siècles, des historiens vont se pencher sur ces quarante dernières années, nul doute qu’ils auront beaucoup de mal à comprendre et que notre génération n’en sortira pas grandie ] – alpha.b
Selon le sociologue Constantin Tsoukalas, la Grèce “était aussi, dans une large mesure, un pays dont les habitants avaient une joie de vivre et une certaine insouciance. Il y avait les taux les plus bas de maladies mentales, de suicides, de toxicomanie de toute l’Europe et des familles plus stables.” Mais en Grèce, les “lois économiques” ont effacé bien des sourires, et causé bien des malheurs.
Le raisonnement développé par l’Union européenne tient sur le papier : la Grèce est peu compétitive, elle doit baisser ses salaires, rendre son État plus efficace, et accroître sa productivité.
Sauf que ce raisonnement repose sur une erreur fondamentale.
En effet, baisser les salaires entraîne un mécontentement radical, ainsi qu’un effondrement du niveau de vie. Il devient alors impossible de demander aux salariés sacrifiés de faire des efforts pour accroître leur productivité.
Que faire alors ? C’est très simple : accroître fortement les salaires en Allemagne, pour résorber par le haut l’écart de compétitivité (voir ce billet).
De plus, la baisse des salaires conduit à une telle baisse du niveau de vie que les individus n’ont pas les moyens de faire leurs courses. Les magasins ferment alors les uns après les autres ou augmentent leurs prix pour tenter de sauver leurs profits, ce qui réduit d’autant plus le pouvoir d’achat. Dans tous les cas, l’économie s’effondre, le chômage explose.
Dans une telle situation, les investisseurs étrangers ne vont pas se précipiter pour construire des usines dans le pays, ni pour acheter les entreprises grecques que l’UE demande à l’Etat de privatiser. Et la contestation sociale ne peut qu’amener la déstabilisation politique, qui ne fera qu’aggraver la situation économique.
Par ailleurs, à supposer même que la stratégie d’accroissement de la compétitivité ait un sens, une telle politique met des années à produire des résultats. Mais il faut de la stabilité pendant que le processus a lieu. Si le pays connaît émeute sur émeute, difficile de construire un pacte social autour de réformes économiques.
De plus, inutile de rappeler que lorsque le PIB s’effondre, le ratio Dette/PIB augmente. C’est pour cela que la dette grecque reste toujours à 160% du PIB, en dépit de la forte baisse des dépenses publiques.
Enfin, il est clair qu’une aggravation de la situation en Grèce ne peut que nuire à l’euro, en provoquant de nouvelles paniques sur les marchés financiers. De ce point de vue également, les décisions prises par l’UE vont à l’encontre des objectifs visés, ainsi que l’expliquent Guillaume Duval et Christian Chavagneux.
On connaît pourtant l’alternative : un programme social et écologique européen, passant par une redistribution fiscale massive et une transition vers une économie (et donc une société) durable. Les instruments existent, comme la Banque Européenne d’Investissement. Et il est probable qu’un tel programme reçoive le soutien des populations étranglées. Mais les intérêts constitués, l’absence de volonté politique et les blocages intellectuels des conseillers des dirigeants empêchent (pour l’instant) une telle alternative d’émerger.
En attendant, la politique actuellement menée est absurde. Elle constitue une aberration économique, au nom de laquelle sont demandés les sacrifices humains.
Un seul chiffre : les mesures dont le principe a été approuvé hier prévoient que le salaire minimum grec doit baisser de 170 euros, pour être ramené de 750 euros à 580 euros (une baisse de 22%).
En quoi les salariés grecs percevant le salaire minimum sont-ils responsables de la situation de leur pays ? Qui peut considérer une telle mesure comme juste ? Comment demander aux personnes concernées de rester calmes devant une injustice flagrante qui les enfonce dans la misère ? Comment des dirigeants politiques peuvent-ils prendre une décision aussi irresponsable (est-ce parce qu’ils ont été convaincus par les arguments de Jean Quatremer ?)
La course à l’abîme est enclenchée.
http://alternatives-economiques.fr/blogs/raveaud/2012/02/13/grece-on-ne-rit-plus/
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