[Hélas non, l’inflation ne réglera pas un problème qui est bien plus important que celui présenté pour juste qu’il soit sur certains points. L’ennemi public numéro 1 ne sait pas qu’il l’est et ne sait pas non plus (encore) qu’il n’échappera pas au naufrage, pour ceux qui n’ont pas déjà les pieds dans l’eau. Une prise de conscience est nécessaire pour construire une solution qui ne passe pas par trop de violence.] – alpha.b
Depuis des siècles, il est une théorie qui donne lieu à de nombreux débats et alimente les discussions fantasmagoriques au café du commerce : il s’agit de la «théorie du complot».
Disons-le tout net : l’idée qu’un petit groupe de personnes assises autour d’une table administre le monde n’a évidemment aucun sens. Nous vivons dans un monde de plus en plus insaisissable, organisé en réseau, avec une information qui circule en temps réel. Aucun groupe d’individus, composé d’esprits aussi brillants soient-ils, n’est en situation d’administrer et de régir le monde dans ce qu’il a de plus complexe.
S’il n’y a pas de complot au sens «conspirationniste» du terme, il se peut qu’au fil du temps certaines confréries ou corporations aient pu développer une influence telle qu’elles sont en mesure d’agir sur les grandes décisions.
C’est le cas aujourd’hui : les démocraties occidentales sont dirigées par une caste très influente, qui tient les gouvernements, les banques centrales, les sociétés multinationales et les grands groupes de médias : «les baby-boomers». Vous l’aurez compris, je fais allusion à cette classe d’âge née juste après la seconde guerre mondiale.
Cette génération qui a fait «Mai 1968» ; cette génération d’enfants gâtés qui n’a connu ni la guerre, ni la crise, ni le Sida. Cette génération qui a toujours vécu dans l’abondance qui a caractérisé les «Trente Glorieuses».
C’est ainsi que toute une génération a pu se constituer un patrimoine immobilier avec une facilité inédite, et dans des conditions qu’aucune autre génération n’a pu et ne pourra connaître.
Les crises pétrolières des années 1970 mirent un coup d’arrêt brutal à cette dynamique. La croissance économique ralentit nettement, le chômage fit son apparition. La raison aurait été alors que cette génération accepte de réduire son train de vie. Mais comment voulez-vous devenir subitement responsable, lorsque que votre philosophie a toujours été de «jouir sans entrave», pour reprendre l’une des maximes de 1968 ? N’étant pas résolue à réduire son train de vie, cette génération a alors commencé à vivre au dessus de ses moyens. Les premiers déficits firent leur apparition et les dettes publiques explosèrent.
Dans les années qui suivirent les crises pétrolières, rien ne vint s’opposer à ce mouvement. Certains choix politiques ont même été enclin à l’accentuer : la décision prise en 1982 d’abaisser l’âge de départ à la retraite de 65 à 60 ans en dépit de toute considération démographique procédait de la même logique.
Plus symptomatique encore : les «baby-boomers» sont à l’origine de l’Euro et de la création de la banque centrale européenne. Je suis un européen convaincu, et je considère l’Euro comme ma monnaie. Son arrivée dans nos économies a été salutaire à bien des égards. Mais comment expliquer que le mandat principal confié à la BCE soit la lutte contre l’inflation ?
Il y a une explication à cela : les «baby-boomers» ont compris qu’ils allaient progressivement passer d’un statut d’actif à un statut d’inactif ; d’un statut de travailleur à un statut de rentier. Or l’inflation, si elle peut aider les actifs à se constituer un patrimoine en limitant l’impact des taux d’intérêt, elle peut également porter lourdement préjudice à ceux qui vivent de leur rentes, à commencer par les retraités.
Or il se trouve que l’inflation, à condition qu’elle soit maîtrisée, est aujourd’hui un des leviers remarquables que nous pourrions utiliser pour insuffler une nouvelle dynamique aux économies occidentales. Elle permettrait d’atténuer le poids de la dette des Etats donc nous savons qu’elle est aujourd’hui l’un des principaux périls auxquels nous sommes confrontés.
Une inflation réelle mais maîtrisée permettrait de valoriser le travail plutôt que le patrimoine ; de valoriser les travailleurs plutôt que les rentiers.
L’inflation pourrait donc contribuer à rétablir une justice économique entre les générations, et à redonner leurs chances aux jeunes générations. Qu’en est-il en effet des enfants des «baby-boomers» ? Ces enfants, nés à partir du début des années 1970 qui n’ont connu que la crise et le chômage ? Dépendants de leurs parents, ils quittent de plus en plus tard le nid familial.
Leur projet ? Trouver un logement décent à louer. Il faut dire que les «baby-boomers» sont propriétaires d’une très grande partie du parc immobilier. La demande est importante, mais l’offre est limitée. En conséquence, les prix de l’immobilier flambent. Et l’inflation n’est pas là pour atténuer l’effet des taux d’intérêts. Les enfants des «baby-boomers» se résolvent donc à emprunter sur des très longues durées, parfois trente ans, ou alors à louer. Louer à qui ? Aux «baby-boomers», encore eux, rendant cette caste encore plus riche et puissante !
Le vrai fossé, ce n’est donc pas tant celui qui oppose les riches aux pauvres ; les patrons aux salariés. Non, le vrai fossé, le plus puissant d’entre tous, c’est celui qui s’est installé depuis plusieurs décennies entre une génération de nantis et d’enfants gâtés, et les générations qui l’ont suivi.
Fossé parfaitement entretenu par ce «complot» qui n’en porte pas le nom mais dont le moins que l’on puisse dire est qu’il agit encore avec force et détermination. Evidemment, il n’est pas politiquement correct de dénoncer ce «complot». Les esprits bien pensants vous rétorqueront qu’il est honteux de s’en prendre à des aînés qui ont tant fait pour nous. Il vous sera également opposé que parmi ces aînés certains vivent dans la misère, et que mon propos est pour le moins déplacé pour ne pas dire scandaleux. Mais les faits sont là : le patrimoine des plus de 50 ans excède de plus de 50% le patrimoine moyen, et leur revenu net est supérieur à plus de 15% au revenu moyen. Pourtant, aucune voix dans la classe politique ne viendra dénoncer cette injustice. Non que nos dirigeants émanent tous de la caste des «baby-boomers», mais tout simplement parce que les «baby-boomers» sont, contrairement à leurs enfants, des électeurs studieux et fidèles.
En ce qui me concerne, je fais partie de la génération des enfants des «baby-boomers». Mon discours pourrait donc paraître orienté, empreint d’un aveu de faiblesse ou de rébellion. Il n’en est rien. J’ai la chance d’être propriétaire et d’être libre professionnellement et financièrement. Mon propos n’est donc pas celui de quelqu’un de frustré ou d’aigri, mais plutôt celui d’un trentenaire qui ne se résigne pas à accepter l’idée que la génération de ses parents puisse puiser sa jouissance de la décadence de ce qu’il convient plus que jamais de dénommer le «vieux continent».
Tiré d’un article de Rafik Smati Les échos du 24/01
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