Dans tout il y a une fissure, et c’est par la que peut rentrer la lumière.
Léonard Cohen
Historiquement, la rentabilité de l’industrie sidérurgique a rarement été mise en péril, même si comme toute industrie à forte intensité capitalistique, le retour sur capital est plus faible que dans la haute technologie ou la finance.
Il faut aussi rappeler que la dernière révolution dans le domaine de la production de l’acier est européenne, elle a commencé en Italie il y a plus de 40 ans avec la création de petites unités produisant de l’acier à partir de ferrailles de récupération dans des fours électriques, le tout sur un mode beaucoup plus économique que celui des hauts fourneaux traditionnels. Ce mode de production occupe aujourd’hui 40% du marché mondial de l’acier et c’est cette évolution qui a servi de base à une nouvelle division du travail.
Pour simplifier, la phase à chaud (le produit brut) et la phase à froid (le produit fini) n’obéissent plus tout à fait aux mêmes règles du jeu. En dissociant ces deux aspects complémentaires tout en leur imposant les mêmes critères de rentabilité, les groupes sidérurgiques vont progressivement sortir du paysage industriel européen la partie la moins rentable. De manière plus générale, en imposant les mêmes contraintes à l’ensemble de la chaîne de valeur, l’industrie condamne à terme toutes les unités de production à faible valeur ajoutée implantées dans les pays occidentaux.
L’élévation de la norme de profit qui conduit à ce type de stratégie est à la fois le résultat des politiques presque entièrement dédiées aux entreprises[iv] menées par les États, et l’expression d’un rapport de force extrêmement favorable au monde économique évoqué dans mon billet du 11 octobre.
Or, voilà que tout d’un coup, Arnauld Montebourg est sorti de son rôle et s’est déclaré prêt à remettre en cause les règles du jeu. Nationaliser l’ensemble du site de Florange, c’est substituer une approche globale à celle fondée sur le seul calcul économique, c’est implicitement remettre en cause une division du travail réalisée essentiellement en vue de l’élévation de la norme de profit. Mittal, en déclarant qu’il ne céderait jamais la phase à froid, a tué par avance toute possibilité d’avancer dans cette direction, sauf à aller au conflit ouvert.
Ce qui est surprenant, c’est l’accueil que ce projet de nationalisation a reçu, au-delà des seuls employés du site, appui que rien ne laissait présager, tant 30 ans de propagande libérale ont voué aux gémonies de telles politiques. La fin de partie signée par le premier ministre paraît bien piteuse, mais elle est aussi très révélatrice.
Le communiqué du gouvernement qui salue l’intervention de Arnaud Montebourg précise qu’elle a contribué à « l’établissement d’un rapport de force plus favorable » reconnaissant ainsi explicitement cet état de fait. Implicitement, il nous dit aussi que celui-ci ne peut plus être changé par les luttes sociales et les organisations syndicales. Seul, le monde politique est en mesure de changer la donne, ce qu’il se garde bien de faire, les grandes entreprises peuvent dormir sur leurs deux oreilles.
Le rideau est maintenant tombé et ce n’était pas une comédie avec des décors de Roger Hart et des costumes de Donald Caldwell. L’attitude du ministère du redressement productif a suscité des réactions mitigées, tant la fin de partie n’as pas été à la hauteur du déroulé de cette pièce.
Mais les doutes émis vis-à-vis d’un acteur majeur de l’économie réelle laissent à penser qu’au-delà des acteurs de la finance et malgré 30 ans de fabrication intensive du consentement, l’ensemble de l’économie a perdu une grande partie de crédibilité, n’en déplaise à Laurence Parisot. Cette pièce montre aussi combien les attentes vis-à-vis du monde politique sont élevées, Mélenchon et d’autres pourraient bien un jour prochain élargir leurs soutiens au-delà de leurs bases traditionnelles. En attendant, l’ampleur de la déception se mesure à l’aune de ces attentes.
Extrait d’un article de M.Leis sur le blog de Paul Jorion www.pauljorion.fr
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