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Déc 31

La dette

Un visionnaire prophétique

C’est au travers de deux de ses pensées que Montesquieu pose, en fin juriste, des règles pleines de sagesse pour nos États surendettés :

« Tous les États dépensent leur capital ; les revenus ne suffisent point. Le crédit public, bien établi dans de certains pays, les ruine, parce que, les fonds étant toujours présents, on a été toujours plus porté à entreprendre » (Montesquieu – Mes Pensées XXXI. Finances des États d’Europe – 2017).

« Il faut qu’il y ait une proportion entre l’État créancier et l’État débiteur : car l’État peut être créancier à l’infini, et il ne peut être débiteur qu’à un certain degré ; et, si l’on était parvenu [à] passer ce degré, le titre de créancier s’évanouit » (Montesquieu – Mes Pensées – XXX. Impôts et emprunts – 2015).

Voici des propos frappés du sceau de la sagesse et du bon sens dont nous aurions bien fait de nous inspirer depuis près de 40 ans.

Montesquieu ne fait que décrire le système financier dans lequel nous vivons depuis 1971 où la fin de la convertibilité du dollar en or a laissé la place à un mécanisme où la création monétaire n’est plus limitée à la quantité d’or dont un pays (ou une banque) dispose en réserve. La monnaie est alors créée à partir de l’émission de dette, l’émission de nouvelle dette permettant de rembourser les anciennes dettes sous peine de créer un manque de liquidité. Un cycle infernal conduisant à une explosion de la masse monétaire et à une dévaluation concomitante de nos monnaies sans omettre un poids de la dette passible d’une dégradation de la note souveraine de son émetteur. Mais justement, parlons-en.

Les marchés semblent avoir commencé à anticiper la perte du triple A pour le FESF, l’Allemagne et la France, ce qui, selon certains, relativiserait ses conséquences en les minimisant. On peut être tout aussi perplexe lorsque l’on entend des experts a priori avisés dire que la dette n’est pas un actif à risque. Alors, n’est-on pas fondé à se demander quelle réalité se cache derrière la perte du triple A et le poids réel de notre endettement ?

La réalité insidieuse de la perte du triple A

Les probabilités de défaut sont en définitive relativement faibles. Elles ne sont néanmoins pas à exclure totalement, surtout lorsque les effets d’une crise de système s’étendent à tous ses acteurs et multiplient d’autant les risques de défection en chaîne. Sachant, par ailleurs, que la perte du triple A a pour conséquence non négligeable – même si elle est supportable à court terme – d’entraîner une hausse du taux d’intérêt d’emprunt avec, à la clé, un coût supplémentaire de la charge de la dette. Deux chiffres dont on a – aussi surprenant que cela puisse paraître – quelques difficultés à trouver une estimation fiable et précise…

Deux chiffres pourtant essentiels lorsque l’on sait que notre endettement est si important qu’une hausse taux d’intérêt de 1% aggraverait la charge de la dette de l’ordre de 2 milliards la première année et de près de 14 milliards dix ans plus tard.

La face obscure de la dette publique

La dette publique de la France au sens strict serait de 1 692,7 milliards d’euros, soit 86,2% du PIB (Estimation INSEE – fin du 2e trimestre 2011)

En fait, lorsque l’on se penche sur les principales composantes « hors bilan » de la dette publique, il y a de quoi être un peu surpris :

– 140,6 milliards d’euros de dette cumulée (Cour des comptes – Rapport sur la Sécurité Sociale – septembre 2011) restent à amortir par la Caisse d’Amortissement de la Dette sociale, plus connue sous le sigle de CADES, auxquels s’ajoute le transfert à partir de 2011 et jusqu’en 2018 d’un maximum de 130 milliards d’euros supplémentaires, avec une nouvelle prolongation de quatre ans du CADES jusqu’à 2025, année butoir qualifiée « d’horizon prévisionnel d’extinction de la dette sociale ».

– 136,2 milliards d’euros de dette cumulée (fin 2010) au titre de l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité sociale.

– Plus de 20 milliards € au titre de la dette des hôpitaux.
– 4 milliards d’euros au titre des allocations chômage.
– 8,7 milliards d’euros au titre de la SAAD (Service annexe d’amortissement de la dette de la SNCF).
– 27,8 milliards d’euros au titre du Réseau Ferré de France (gestionnaire des voies de la SNCF).
– 1 200 milliards d’euros au titre des retraites des fonctionnaires.
– Quelques dizaines de milliards d’euros au titre de la SFEF.

Soit un total « hors bilan » de l’ordre de 1 537,3 milliards d’euros auquel il faudrait ajouter la charge de la dette qui devrait atteindre 45,4 milliards d’euros, sans omettre l’encours des prêts structuré aux collectivités locales, évalué à 32,1 milliards d’euros, dont 18,8 milliards d’euros à risque.

In fine, la dette publique réelle serait de l’ordre de 3 230 milliards d’euros (1 692,7 +1 537,3).

À ces montants astronomiques s’additionnent la dette des ménages (plus de 1 000 milliards d’euros en T3 2010) et la dette des sociétés non financières (1 265 milliard d’euros en T3 2010), pour obtenir l’encours total de la dette de notre économie…

Mais arrêtons-nous là pour nous hasarder avec beaucoup d’ingénuité à poser trois questions.

Trois questions ingénues

– Pourquoi le président de la BCE a-t-il récemment précisé que « tous les scénarios » sont à l’étude pour faire face à la perte éventuelle du triple A par le FESF ou l’un ou plusieurs de ses membres si cette dégradation a si peu d’importance au regard des montants en jeu ?

– Pourquoi a-t-il également précisé que la politique monétaire « ne peut pas tout faire » alors même qu’il a annoncé quasi simultanément qu’il allait prêter beaucoup d’argent aux banques européennes (5 000 milliards selon certaines estimations) lors des 3 prochaines années pour qu’elles puissent se refinancer et acheter de la dette publique, leur laissant d’ailleurs le choix de prêter aux PME ou d’acheter des bons du Trésor ?

Une question qui ne manque pas d’intérêt lorsque l’on constate que les banques viennent de se refinancer à hauteur de 489 milliards d’euros au terme de la toute première opération à trois ans lancée par la Banque centrale européenne, dépassant ainsi les 450 milliards d’euros servis en 2009 à l’occasion de sa première opération à un an (Reuters – 21 décembre 2011).

Question subsidiaire

Les 523 banques qui ont participé à cette opération vont-elles prêter aux entreprises ou acheter de la dette souveraine ? Rien ne semble moins sûr…

Au plus peut-on avoir la certitude qu’à l’instar de Montesquieu, Law est également en train de sourire dans sa tombe ?

Il est vrai que régler une crise du surendettement par un accroissement de la dette pourrait friser la plaisanterie si cela ne risquait pas à terme de conduire à une banqueroute dont on tairait le nom par crainte de la voir arriver.

D’après Gilles Bouchard Cercle les échos.

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