Pékin correspondant – La presse chinoise l’a baptisé « le bourg aux BMW ». En seulement quelques mois, Shiji, dans la province du Jiangsu, a vu ses rues se remplir de berlines allemandes.
Il est vrai qu’un entrepreneur local, revenu de Pékin, avait eu l’idée lumineuse d’emprunter l’épargne des villageois et de leur offrir un rendement de 10 % mensuel ; il prêtait alors à son tour à des promoteurs immobiliers de la région, à un taux de… 30 %.
Ces derniers investirent dans des terrains constructibles, remplissant les caisses du gouvernement local, et faisant surgir de terre des immeubles.
Et puis certains des emprunteurs ont fait défaut. La pyramide a fini par s’écrouler, laissant sur la paille les 2 000 villageois de Shiji, et les bâtiments vides. Toute ressemblance avec d’autres cités de Chine, voire avec le pays tout entier, ne serait que pure coïncidence.
Les « schémas de Ponzi », ou encore les tontines aux taux d’usure indécents, n’apparaissent au grand jour que lorsque la chaîne se rompt – comme pour l’escroc américain Bernard Madoff.
BULLES CULMINANTES
Si de tels incidents défraient la chronique ces derniers mois en Chine – qu’il s’agisse de groupes d’individus, d’entreprises ou de villes entières -, c’est que les bulles financières (dans l’immobilier, mais aussi l’art, l’ivoire, le jade…) culminent.
Malgré la surabondance de liquidités, les banques chinoises n’ont de cesse de resserrer les crédits. Les autorités de régulation lancent des audits à tous les niveaux.
Dans l’immobilier, les mesures mises en oeuvre depuis 2010 pour juguler la surchauffe – là aussi en bridant les prêts et en freinant l’accès à la propriété des non-résidents et de ceux qui possèdent déjà plusieurs logements – font leur effet.
Dans les riches mégalopoles, comme Shanghaï, Pékin et Canton, les prix baissent. Zhang Xin, la patronne du groupe Soho et championne de l’habitat chic pour yuppies, s’est d’ailleurs plainte, mercredi 28 septembre à Shanghaï, lors d’une rencontre avec les journalistes étrangers, que « l’immobilier résidentiel y traversait les pires conditions de marché en dix-sept ans », avec « zéro transaction ».
En revanche, dans les villes de l’intérieur, où des barres d’immeubles en chantier s’étendent pourtant à perte de vue, les prix continuent d’augmenter. Mais moins vite qu’en 2010. Peuvent-ils s’effondrer ? Ils avaient déjà fléchi brutalement en 2008, après les Jeux olympiques.
Les économistes sont confiants et pensent que le marché trouvera plutôt assez vite son plancher : les Chinois n’ont que la pierre pour placer leur épargne abondante, que ronge l’inflation. Les salaires ne cessent d’augmenter, les emplois ne manquent pas et l’urbanisation est rapide. Zhang Xin, de Soho, prédit que Pékin assouplira de nouveau les règles – comme cela avait été le cas en 2008, lors de la crise financière mondiale.
En réalité, le maillon faible se situe à l’autre bout de la chaîne, dans cette « Europe du Sud » à la chinoise que sont un bon nombre de localités de province. L’équation qui relie les épargnants, l’immobilier, les terres disponibles, les gouvernements locaux et les prêteurs, c’est-à-dire les banques, peine à s’équilibrer.
La raison ? Les dettes cachées accumulées par les collectivités locales, lancées depuis deux ans dans une frénésie d’investissements à la demande de Pékin. Officiellement estimé à 10 700 milliards de yuans (1 250 milliards d’euros), l’endettement des « plates-formes de financement locales », des entités ad hoc dotées d’une garantie publique implicite, pourrait atteindre le double, selon Victor Shih, de la Northwestern University à Chicago (Etats-Unis).
« CONSIDÉRABLES INCONNUES »
Selon une étude de la banque Standard Chartered de Shanghaï, publiée en juillet, les bilans des établissements bancaires comportent au bas mot 9 000 milliards de yuans de dettes irrécouvrables, soit 22 % du produit intérieur brut (PIB) chinois – en comptant les plates-formes locales, mais aussi le ministère du chemin de fer, surendetté. L’étude précise que « des inconnues considérables persistent sur l’échelle des mauvaises créances ».
La Chine connaît un « syndrome grec » : des provinces, à l’origine moins développées, sont en faillite virtuelle. « La situation est peut-être plus grave qu’aux Etats-Unis et en Europe : ces problèmes d’endettement sont dus au fait qu’il est facile pour un gouvernement de créer une société, puis pour une banque de lui accorder des fonds. Les capitaux s’accumulent dans les entreprises d’Etat, les grands projets sont d’une qualité et d’une efficacité douteuses », estime Feng Xingyan, vice-directeur du centre de recherche indépendant Unirule Institute of Economics, à Pékin.
La cession de terrains a financé environ la moitié du méga-plan de relance de 2008 – via les banques. Il s’agissait de construire des routes, des métros, des centres de conférence ou des aéroports…
A Hangzhou, près de Shanghaï, 87 % de l’endettement direct de cette ville, par ailleurs très riche, serait lié au produit des ventes de terres, selon un audit publié par la municipalité début septembre. Or, en 2011, ses revenus tirés du foncier seront inférieurs de 40 % à ce qu’ils étaient en 2010.
Car les terres à « liquider » se raréfient et rapportent moins qu’avant aux collectivités locales et aux promoteurs : il est moins aisé « d’expulser au prix du marché d’hier », pour revendre « au prix du marché de demain ». La multiplication des violences et des suicides dus aux expulsions a conduit à un durcissement des lois.
Depuis que le problème de la dette des plates-formes locales de financement a surgi en 2010, un audit des collectivités locales a été lancé. Huit provinces ont publié leurs taux d’endettement en août.
L’île d’Hainan (Sud) – un paradis pour milliardaires qui a déjà subi l’éclatement d’une bulle immobilière dans les années 1990 – arrive en tête, avec 93 %.
En urgence, des actifs sont réinjectés là où manquaient les collatéraux (garanties) aux emprunts contractés. Et des prêts en principe irrécouvrables sont reclassifiés en créances saines.
2600 MILLIARDS DE YUANS
Mais la situation presse : une étude de la Cour des comptes chinoise signale qu’un quart du principal de la dette contractée, soit 2 600 milliards de yuans, est dû en 2011. Quant au service de la dette, il s’élève, selon l’étude de Standard Chartered, à l’équivalent de 50 à 60 milliards de yuans par mois sur l’ensemble du pays, soit moins que les revenus des ventes de terres, qui ont plafonné cette année à 100 milliards de yuans par mois, et pourraient même baisser de 20 % en 2011 selon la banque.
Or, ceux-ci sont la source principale de financement des budgets locaux, la majorité des revenus fiscaux étant transférés à Pékin.
Selon Hu Shuli, la rédactrice en chef du site économique Caixin, connue pour ses prises de position libérales, l’arsenal de réglementation mis en place par les autorités pour tenter d’encadrer les finances des gouvernements locaux ont des résultats limités, tant celles-ci sont opaques.
Surtout, elles sont inféodées à une logique politique, et non de marché. « La Chine s’expose à une bulle de la dette qui pourrait avoir des conséquences désastreuses, si elle laisse filer la dette des gouvernements locaux », écrit-elle.
Des solutions sont à l’étude – un rééquilibrage de la structure fiscale ; l’accès des gouvernements locaux au marché obligataire, vieux serpent de mer de la politique économique chinoise. Mais, prévient Hu Shuli, il faut d’abord consolider et nettoyer les dettes existantes.
Ce renflouement pourrait être comparable à celui de 2005, quand Pékin avait réinjecté en catimini des liquidités dans ses grandes banques. « La politique des sauvetages bancaires est très complexe », notent les analystes de Standard Chartered, « et tend à donner une prime à l’irresponsabilité » – elle évite souvent de désigner des coupables et de faire les comptes.
A un an d’une transition majeure au sommet du Parti communiste chinois, le terrain s’avère donc miné. Car la note pourrait être difficile à avaler par ceux qui la paieront : les épargnants chinois, déjà exaspérés par la corruption.
Brice Pedroletti Le Monde
Comme quoi c’est bien toujours la mauvaise herbe qui chasse la bonne ! En plus quand on met de l’engrais officiel on peut imaginer les dégâts que cela va faire mais eux au moins ont déjà la main de fer pour étouffer tout cela.
Vont-ils y arriver ?
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