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Mai 27

L’ alternative

[Bien sur qu’il existe des alternatives, en particulier en montrant par des exemples qu’il est possible de prendre des chemins de traverse permettant de sortir du cadre et de poser les lourdes valises que l’on veut nous faire porter. Encore faut il en avoir les moyens et le temps, ce qui ne peut être que le fait, au départ, que de quelques uns  qui pourront mettre des forces en marche. Les solutions apparaîtront alors.]-alpha.b

 

 

En criant haro sur les Grecs, en oubliant qu’ils sont un peuple européen à part entière et au même titre que tous les autres, en les renvoyant en bloc, honnête homme et crapule confondus, à une grécité d’orientaliste hypermétrope, un pot-pourri d’hédonisme, de laxisme et d’irascibilité sanguinaire qu’ils partageraient avec l’ensemble des Méditerranéens, les Allemands reconduisent une détermination ethnologique dont ils furent eux-mêmes victimes, quand ils étaient la lanterne rouge de l’économie occidentale et que leur république n’était plus qu’un agrégat de révoltes concurrentes.

Les Français des années 1920 avaient une excuse, leur ignorance, entretenue par la littérature revancharde et le paternalisme raciste déployé dans les expositions coloniales. Les Allemands retournaient à l’état semi-sauvage des tribus d’Arminius. Nous, à l’ère de l’Internet, de la fraternité globale, et dans la foulée de la décolonisation, nous n’avons aucune excuse.

Le Grec, quand il est prospère, est le bienvenu ; on le laisse parler. Qu’il vienne à tomber dans la pauvreté, on l’évacue et on parle à sa place, car il ne s’est jamais vu que l’histoire des vaincus ait été écrite par les vaincus. À force de l’annoncer, on le précipite vers l’en sauvagement auquel on craint de le voir céder. On lui assigne la jungle pour demeure alors qu’il s’affaire encore à relever pacifiquement ses ruines. Il se pourrait bien que pour sauver sa démocratie, le Grec ferme vraiment le poing et l’envoie à la gueule de l’Europe. À qui pensez-vous que le coup ferait le plus mal ?

« Aucun rêve jamais ne mérite une guerre. » Plutôt qu’une correction par le poing dans la gueule, corrigeons notre regard. Il nous est si facile de voir à travers la misère comme si elle était spectrale ; nous le faisons tous les jours à l’aspect d’un mendiant. Ne pourrions-nous pas semblablement ignorer les signes extérieurs de richesse ? Il y a une gloriole de la possession comme il y a une gloriole de l’héroïsme guerrier. La gloriole est l’ombre portée de la gloire, la grimace clownesque qu’elle traîne en tout lieu et que personne ne semble voir

Il ne s’agit pas d’interdire aux hommes de posséder ou d’admirer – il semble que ce soit impossible –, mais de cesser de voir dans l’étalement des possessions un signe d’élection et de compétence supérieure, où il n’y a généralement que l’affirmation d’une fatuité, qui est la manière d’être des baudruches.

Qu’on ne me dise pas que le vanitas vanitatum de l’Ecclésiaste retentira longtemps encore avant que l’humanité ne renonce à un vice dont elle a toujours donné l’exemple jusqu’à présent.

La Grèce antique avait des héros vénérables, dont les quelques fulgurances, recueillies par d’anonymes copistes, suffisent à bouter le feu aux hommes de paille que nous portons au pinacle. Ces héros n’étaient pas toujours riches, pas toujours anthropophages, pas toujours imbus de leur notoriété ; ils préféraient parfois l’antre d’un cratère fêlé à la chambre dorée d’un palais.

 On a vu récemment les étudiants québécois animant le Printemps-Érable renouer avec une forme de protestation non violente et non moins spectaculaire, la désobéissance civile, théorisée et pratiquée par Henri David Thoreau au XIXe siècle, et amplifiée depuis, avec le succès que l’on sait, par Gandhi et Martin Luther King.

Il existe donc bel et bien des alternatives à l’action coup de poing, qui n’incitent pas le peuple à prendre le pouvoir en montrant les crocs, mais à le réinvestir. Walter Benjamin, encore lui, dans Thèses sur la philosophie de l’histoire (1940), assigne pour tâche au matérialisme historique de repêcher dans le passé les aspirations négligées, les espoirs ravalés, les écoles de pensée et de vie dont la mèche a été soufflée. « Le passé est prophète », écrit Herman Melville dans Mardi (1849). C’est précisément parce que les révolutions prétendent faire table rase du passé qu’elles en reconstituent les impasses. Plus de deux siècles après, il reste d’innombrables Bastilles à démanteler. C’est donc qu’on s’y est mal pris.

Extraits d’un billet « Aucun rêve ne mérite la guerre » sur le blog de P.Jorion www.pauljorion.com

 

 

 

 

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