Essais et erreurs
Cette croyance selon laquelle on peut planifier et organiser l’innovation technologique à long terme n’est, précisément, rien d’autre que ça : une croyance.
Si l’histoire des trois derniers siècles, des machines à vapeur à Internet et passant par le train, doit nous enseigner quelque chose en matière d’innovation, c’est justement qu’elle ne se décrète pas, qu’elle a toujours été le fruit de la rencontre d’une initiative individuelle et d’un marché et, enfin, que les rares projets centralisés et pilotés par la puissance publique qui n’ont pas été des gouffres financiers ont finalement abouti grâce au marché et d’une manière que personne n’avait prévu.
Considérez l’histoire d’Internet, justement, et la manière dont il a évolué d’un très confidentiel projet militaro-universitaire en un réseau universel et décentralisé. Souvenez-vous du projet Cyclades de Louis Pouzin, qui aurait pu devenir l’internet français dès le début des années 1970 et qui a été purement et simplement abandonné sous la pression des ingénieurs télécoms qui préféraient pousser le Minitel .
Remontez le temps et souvenez-vous de cette France colbertiste qui avait Denis Papin sous la main et s’est débrouillée pour que ces inventions soient développées par un entrepreneur anglais ; souvenez-vous du plan Freycinet (1879) qui n’a réussi qu’à ruiner les compagnies qui avaient construit notre réseau ferroviaire et à précipiter leur nationalisation en 1938… On pourrait en remplir des bibliothèques.
Ne vous méprenez pas : il n’est pas question de dire ici que l’État est incapable d’avoir de bonnes idées ni que celles issues du secteur privé sont systématiquement bonnes : le fait est que l’innovation est un processus de découverte, d’essais et d’erreurs et que l’État, s’il sait faire des essais, est absolument incapable de reconnaitre ses erreurs.
Le volontarisme d’État, en matière de grands projets économiques, est une extraordinaire machine à gaspiller, à prendre ses désirs pour des réalités et à confondre investissements et satisfaction d’impératifs politiques immédiats. La planification économique ne fonctionne pas ; le seul système qui ait jamais produit de l’innovation et de la croissance, c’est un système dans lequel des entrepreneurs privés proposent à un marché qui dispose – c’est ce que l’on appelle le capitalisme et l’économie de marché.
Élites à la manœuvre
Et voilà que ce 19 avril, entre deux réformes sociétales destinées à occuper la une des journaux, notre actuel gouvernement a « installé » sa commission Innovation 2030 ;
Laquelle, présidée par Mme Anne Lauvergeon, a reçu pour mission – sans rire – de « proposer au gouvernement, d’ici à l’été, les secteurs et les technologies où la France est susceptible d’occuper des positions de leader à l’horizon 2030, en privilégiant les activités qui répondront aux besoins de la société de demain et créeront la plus grande valeur et le plus d’emplois sur notre territoire »
Nous y revoilà. Dans la grande tradition de l’État stratège contre la myopie des marchés, nous allons encore une fois financer à grand renforts d’argent public une énième commission Théodule chargée de rien de moins que d’identifier les besoins de la société dans vingt ans.
Entendez-moi bien : je n’ai aucun commentaire à faire sur le choix de Mme Lauvergeon pour présider ce nouvel ersatz du colbertisme technocratique à la française mais ce que je tiens en revanche pour certain, c’est qu’à la lecture de leurs conclusions dans quelques années, nos enfants se rouleront par terre.
Les innovateurs des années 2030, vous ne les trouverez ni dans les couloirs de l’Assemblée nationale, ni à la direction des grandes entreprises : en ce moment, ils partagent leur temps entre l’école primaire et le bac à sable.
Mais nos élites visionnaires sont sûres d’elles-mêmes. Après avoir consciencieusement massacré les capacités de financement du secteur privé à coup de taxes et de règlementations , les voici donc qui se piquent de prévoir le futur et de remplacer ce qu’ils ont détruit par une Banques publique d’investissement et une nouvelle commission technocratique.
Je prends un pari avec qui le veut : d’ici 2030, la première aura fait faillite dans un grand scandale de détournement de fonds et aucun – je dis bien aucun – des investissements d’avenir sélectionnés par la seconde n’aura été autre chose qu’un gouffre financier.
Extraits d’un article de Guillaume Nicoulaud sur Contrepoints.org
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