Sans être un expert, je crois savoir que déjà les grecs anciens faisaient une première classification des connaissances en deux parties basées sur le concept de nécessaire et de contingent.
Les sciences physiques dures actuelles seraient classées dans le chapitre du nécessaire : je lâche mon crayon et il tombe nécessairement toujours par terre.
Le reste serait du contingent. : Les choses sont comme ça, mais ça pourrait être autrement, comme dans les dites sciences humaines.
L’économie, connaissance contingente par essence, a voulu par effraction entrer dans le champ des connaissances nécessaires. C’est son défaut constitutif originel..
Encore faut-il remarquer que cet antique concept grec dépasse, dans sa précision, le distinguo restreint que vous évoquez:
En sciences physiques elles-mêmes, on distingue la « découverte » (des lois de la nature) de l’invention (d’artefacts qui les utilisent), le premier domaine étant celui des sciences dites fondamentales, le second celui des autres (dont celles de l’ingénieur).
On ne peut échapper aux premières, alors que les secondes sont effectivement contingentes, car il est loisible de se passer de leurs bienfaits, ou de leurs méfaits, pour autant qu’on en juge.
Malheureusement ou heureusement (pour autant, là encore, qu’on en juge) on passe assez rapidement d’une catégorie à l’autre: les grecs antiques se passaient fort bien de téléphones portables et d’ordinateurs personnels, mais il n’est pas dit qu’ils eussent négligé qu’on parlât ainsi d’eux par internet, 2500 ans plus tard.
Il en va de même de l’économie, dont Aristote avait d’ailleurs modestement tracé la voie dans son « oeconomia » (domestique), sans se douter qu’elle rejoindrait un jour sa « politique » :
Comme tous les artefacts à usage humain, les dispositifs économiques ont leur logique et elle est en principe mise au « meilleur » service de l’humanité par ses ingénieurs (les économistes).
Le problème, c’est que le terme « meilleur » n’a toujours pas été défini en économie, et pour cause: l’expert en ce domaine n’a rien à faire d’une quelconque « capabilité » (celle de l’ingénieur), mais de sa représentativité des vœux de l’humanité (ou, à défaut, de la nation).
Ainsi les Grecs, encore eux, avaient des « stratèges » choisis pour gouverner moitié/moitié avec les archontes dans le “gouvernement des vingt”, et le « Conseil des 500 » représentants du tirage au sort pour les contrôler. Le tirage au sort permettait ainsi une représentation non-biaisée.
Selon le même Aristote, pourtant souvent critique (Constitution des Athéniens): dans la démocratie, l’institution essentielle est le régime du tirage au sort. … Le recours à l’élection conduit à l’oligarchie ou l’aristocratie.
(On ferait bien de s’en inspirer: il n’y a dans nos assemblées aucun agriculteur ni ouvrier !)
Et ce n’est pas tout: la tâche la plus difficile qui reste est de faire révéler à ces représentants leur vraie fonction d’utilité lorsqu’il s’agit d’émettre leurs vœux législatifs dans le vote en assemblée: chaque représentant aura tendance à exagérer les intérêts de ceux qu’il représente, pour obtenir plus de la loi.
On retrouve là les affres conflictuels rencontrés en théorie des jeux, mais au moins est-on assuré, dans le système grec “stoch(ast)ocratique” du caractère non biaisé des participants dans le jeu démocratique ainsi défini !
On en est loin…!
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