[Quoi de plus vrai et pas seulement outre atlantique. Cela fait longtemps que la méritocratie a laissé la place à des incapables doublés d’incompétents mais de connivence. Cela nous a couté cher et ce n’est pas fini] – alpha.b
« La santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » s’interrogeait Laurence Parisot, emboitant le pas à Denis Kessler pour qui le monde se diviserait entre patrons « riscophiles » et salariés « riscophobes ». Avec à la clé la justification de rémunérations stratosphériques pour ceux qui auraient fait, au péril d’eux même, le choix d’affronter le danger.
Loin de ces propos d’estrade, la réalité économique est fort différente, nous rappelle Robert Reich, à partir de l’exemple américain.
Pour les uns, des salaires et primes de départ mirobolants, venant couronner des échecs insignes, pour les autres une incertitude du lendemain et une précarité toujours croissantes.
Par Robert Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton, 16 janvier 2012
Le candidat Républicain à l’investiture Mitt Romney décrit la campagne électorale de 2012 comme celle du « procès de la libre entreprise » qu’il définit comme la possibilité de réussir en « travaillant dur et en prenant des risques » Le sénateur de Caroline du Sud Jim DeMint, un favori du Tea-Party, déclare soutenir Romney parce que « nous avons vraiment besoin de quelqu’un qui comprenne comment le risque, la prise de risque … est notre façon de créer des emplois, d’offrir des choix, d’accroître la liberté. »
Le Président de la Chambre de Commerce, Tom Donahue, défendant Romney, explique que « cette économie est bâtie sur le risque. Si vous ne prenez pas de risque, vous ne pouvez pas réussir. »
Un instant. Par qui donc croient-ils que les risques soient supportés ? Leurs fadaises sur la prise de risque de la libre entreprise mettent sans dessus dessous la réalité. Plus on est situé en haut dans le système économique, plus il est facile de faire de l’argent sans prendre aucun risque financier personnel. Plus on est en bas de l’échelle, plus les risques sont élevés.
Wall Street est devenu le coeur de cette libre entreprise sans risques. Les banquiers risquent l’argent des autres. Si les affaires tournent mal, ils perçoivent dans tous les cas leurs commissions. L’ensemble du secteur des hedge funds est organisé pour couvrir les paris de gros investisseurs qui peuvent faire de l’argent que le prix des actifs sur lesquels ils ont parié monte ou descende. Et si le pire se produit, les plus grands banquiers et investisseurs savent désormais qu’ils seront renfloués par les contribuables parce que leurs entreprises sont trop grosses pour qu’on les laisse faillir.
Mais les pires exemples de la libre entreprise sans risque sont fournis par les PDG qui empochent des millions après des échecs spectaculaires.
Vers la fin 2007, Charles Prince a démissionné de son poste de PDG de Citgroup après l’annonce que la banque aurait besoin de 8 à 11 milliards de dollars supplémentaire en raison des pertes liées aux subprimes. Prince est parti avec 30 millions de dollars de cadeaux princiers, sous la forme d’une retraite, d’actions et de stock options, avec en plus un bureau, une voiture et un chauffeur pour cinq ans.
Le mandat de cinq ans de Stanley O’Neal à la tête de Merrill Lynch s’est achevé à la même période, lorsqu’il était devenu évident que Merrill devrait supporter des dizaines de milliards de pertes sur les prêts hypothécaires, et qu’elle était rachetée à un prix bradé par Bank of America. O’Neal a obtenu une rémunération de 162 millions de dollars.
Philip Purcell a quitté Morgan Stanley en 2005 après que les actionnaires se soient révoltés contre lui. Il est parti avec 43,9 millions de dollars, plus 250 000 dollars par an pour le restant de ses jours.
Les récompenses en cas d’échec ne concernent pas seulement Wall Street. Dans une étude publiée la semaine dernière, GMI, un cabinet d’étude réputé qui observe les rémunérations des dirigeants, a analysé les plus grosses primes de départ reçues par les ex-PDG depuis 2000.
Dans cette liste, on trouve :
Thomas E. Freston, qui n’a occupé que neuf mois la fonction de PDG de Viacom avant d’être remercié, et est reparti avec une prime de départ de 101 millions de dollars.
William D. McGuire, qui en 2006 a été contraint de démissionner de son poste de PDG de UnitedHealth après un scandale sur les stock-options, et qui, en dédommagement de ses ennuis, a obtenu 286 millions de dollars.
Hank A. McKinnell, Jr., dont le mandat de cinq ans en tant que CEO de Pfizer a été marqué par une baisse de 140 milliards de dollars de la valeur boursière de l’entreprise. Nonobstant, McKinnell est reparti avec un gain de près de 200 millions, la couverture médicale gratuite à vie, et une pension annuelle de 6,5 millions de dollars. (Lors de la convention annuelle de Pfizer en 2006, un avion a survolé les lieux en tirant une banderole « Rends les, Hank ! »)
Douglas Ivester, PDG de Coca Cola, a démissionné en 2000 après une période de stagnation de la croissance et de baisse des bénéfices, emportant une prime de départ d’une valeur de 120 millions de dollars.
A tout le moins, les récompenses en cas d’échec ont augmenté. En septembre dernier, Leo Apotheker a été mis à la porte de Hewlett-Packard, avec une prime d’une valeur de 13 millions de dollars. Stephen Hilbert a quitté Conseco avec une prime estimée à 72 millions de dollars, bien que le cours de l’action de Conseco durant son mandat ait plongé de 57 à 5 dollars, en route vers la faillite.
Mais alors que la prise de risque économique diminuait au sommet de l’échelle, elle augmentait pour ceux qui sont en dessous. Plus de 20% de la main-d’œuvre américaine est maintenant « précaire » : travailleurs temporaires, entrepreneurs et consultants indépendants – ne bénéficiant d’aucune sécurité.
Même les salariés à plein temps, qui ont travaillé durant des décennies dans une entreprise, peuvent désormais se retrouver sans emploi du jour au lendemain – sans parachute, sans aucune aide pour trouver un autre emploi, et sans assurance santé.
Dans le même temps, la proportion des grandes et moyennes entreprises (employant 200 salariés ou plus) offrant une couverture complète des soins de santé a continué de baisser, passant de 74% en 1980 à moins de 10% aujourd’hui. Il y a vingt-cinq ans, les deux tiers de ces entreprises procuraient également une assurance santé à leurs retraités. Aujourd’hui, elles sont moins de 15% à le faire.
Le risque de ne pas toucher de retraite s’est également accru. En 1980, plus de 80% des grandes et moyennes entreprises octroyaient à leurs salariés des retraites dont le montant mensuel était garanti. Ce chiffre est aujourd’hui inférieur à 10%. Au lieu de quoi, elles proposent des plans de retraite à « cotisations garanties » où le risque est pris par les salariés. Lorsque la bourse sombre, comme en 2008, les plans de retraites sombrent avec elle.
Et le risque d’une perte de revenu ne cesse de s’accroître. Même avant le krach de 2008, le Panel Study of Income Dynamics de l’Université du Michigan a constaté que, sur une période de deux ans, environ la moitié des familles ont subi une baisse de leurs revenus. Il observe également que ces baisses sont devenues progressivement plus importantes. Dans les années 1970, la perte moyenne de revenu était d’environ 25%. A la fin des années 1990, elle était de 40%. Au milieu des années 2000, les revenus des familles, variaient en moyenne deux fois plus que durant les années 1970.
Ce que Romney et les pom pom girls de la libre entreprise ne veulent pas que vous sachiez, c’est que les risques liés à l’activité économique se sont progressivement éloignés des PDG et de Wall Street pour retomber sur les salariés moyens. Ce ne sont pas seulement les revenus et la richesse qui se sont fortement accrus au sommet. La sécurité économique s’est renforcée là aussi, laissant sur le sable le reste d’entre nous.
S’il s’agit de faire le procès de la libre entreprise, la véritable question est de savoir si le système est truqué en faveur de ceux qui sont au sommet, et sont récompensés quelques soient leurs échecs, tandis que le reste d’entre nous se fait avoir, même en travaillant dur.
Le jury rendra son verdict le jour des élections. D’ici là, Obama et les démocrates ne devraient pas permettre à Romney et aux républicains de se présenter en défenseurs de la prise de risque et de la libre entreprise. Les Américains doivent connaître la vérité. La seule façon pour que l’économie prospère, c’est qu’il y ait une plus grande prise de risque au sommet, et une plus grande sécurité économique pour ceux qui sont situés en bas.
Publication originale Robert Reich, traduction Contre Info
Article original : www.La-chronique-agora.com
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