Lorsqu’on lui a demandé quel était son métier, il a dit « caviste ». D’un coup, son regard s’est voilé et il a ajouté : « Enfin, je devrais dire : j’étais caviste. Parce que dans quelques jours, je mets la clé sous la porte ».
« Je suis retourné voir mon banquier, il m’a refusé le découvert. C’est fini. Je suis allé chercher mon dossier de déclaration de cessation de paiement. Je vais tout faire pour payer mes petits fournisseurs, les vignerons qui m’ont fait confiance et qui, comme moi, en bavent. Les autres, eh ben, tant pis, j’ai pas le choix.
Il y a encore quelques semaines, je croyais que je pouvais m’en sortir. Le banquier m’avait autorisé un découvert de 1 000 euros parce que j’avais mis mon fonds de commerce en vente et que j’avais des acquéreurs. La promesse de vente était signée pour un fonds évalué à 25 000 euros. Les acquéreurs étaient propriétaires d’une maison en banlieue parisienne, ils voulaient la vendre mais il leur fallait un crédit en attendant.
Leur banque a refusé, la promesse de vente est tombée. Du coup, mon banquier m’a dit qu’il ne pouvait plus m’accorder de découvert. J’ai environ 15 000 euros de dettes. C’est beaucoup et peu à la fois quand on fait un chiffre d’affaires de 120 000 euros hors taxe. Mais comme je ne peux plus acheter de stock, je ne peux pas vendre et donc pas rentrer de trésorerie. »
« Les banques ne font plus leur travail. »
« Aujourd’hui, les banquiers ne s’intéressent qu’aux grosses structures, parce que derrière il y a des emplois à sauver et qu’ils savent qu’il y a aura des subventions. Mais Bruno Lafeuille, des Caves de la Halle à Avallon, qui n’a pas d’autre employé que lui-même, tout le monde s’en fout. C’est pour ça que je suis en colère, aigri même. »
« Les banques ne font plus leur travail. Il faut vraiment séparer le dépôt et la spéculation. Moi, je suis fatigué de me battre contre tout ça. Quoi qu’on dise, on est broyé. Avant, quand vous vouliez un prêt de 5 000, on vous proposait 10 000 en vous disant que le taux de crédit était plus intéressant. Alors, les gens prenaient. C’est comme un gamin à qui on dirait qu’il ne faut pas manger du sucre en lui mettant un énorme gâteau sous le nez. Après il est malade et il vomit. Mais on s’en fout parce qu’il a consommé. Et tant pis s’il est surendetté, on le lâche. »
« Si je dois fermer aujourd’hui, je ne dis pas que tout est de la faute des banques. Il y a de ma faute, aussi, j’aurais sans doute pu mieux gérer. Et puis il y a la faute du destin.
« Je suis en colère aussi contre les consommateurs. Je vois des gens qui me disent : ‘Oh, vous fermez ! Comme c’est dommage ! Encore un petit commerce qui va disparaître’. Alors je leur réponds : ‘Oui, c’est dommage, mais vous, je vous croise plus souvent à Auchan que chez moi. Alors, je ne vous demande pas d’acheter tout votre vin chez moi, mais il faut être logique et en cohérence avec ce qu’on dit, quoi !’ On ne parle que de ça : faites fonctionner le commerce de proximité, achetez local, mangez écolo. Mais les gens ne le font pas ! Ce que je n’arrive pas à comprendre en France, c’est que tout le monde a un discours mais qu’on ne met pas les actes en accord avec le discours. »
« C’est vrai que je suis amer. Parce que je ne suis pas un escroc. C’est ce que je disais aux banquiers : je suis honnête, je n’ai pas le gros 4X4 devant la boutique, je vais pas déjeuner tout le temps au restaurant, je ne pars pas souvent en vacances. J’ai fait une gestion, sans doute pas très bonne, mais de père de famille, quoi. Et vous me traitez comme un escroc. »
« Mais il y a aussi cette image du commerçant, qui dans l’esprit de beaucoup de gens, est quelqu’un de riche qui fait plein de black. J’invite tout le monde à voir mes comptes et ceux de mes copains autour, qui sont en galère. »
On en était là, quand on a invité la campagne présidentielle dans la discussion.
« Je suis né à Neuilly, dans une famille assez bourgeoise. J’ai eu une enfance dorée. Je partais en vacances, j’ai toujours été soigné, je n’ai jamais manqué de rien. Quand je suis arrivé en âge de voter, j’ai suivi mes parents, j’ai voté à droite. C’était comme ça, et j’ai continué. En 2007, j’ai voté pour Sarkozy. J’y ai cru. J’avais l’impression qu’on allait bosser et retirer le bénéfice de notre travail. C’est un choix que j’ai fait dans ma vie, j’ai toujours bossé beaucoup. En 2007, je me lançais vraiment à mon compte, c’est l’année où je suis devenu caviste. Mais Sarkozy, là, c’est bien fini. »
« Je pense que c’est le système qu’il faut changer. Qu’on ne peut plus continuer comme ça. Et je me suis mis à écouter Mélenchon. Au début, je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, je voterais Mélenchon. C’est quand même les communistes, l’Union soviétique, des millions de morts. Et dans son programme, il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. C’est très racoleur et électoraliste. Mais c’est celui qui dit des choses que j’ai envie d’entendre. »
« J’irai jusqu’au bout. Je voterai à gauche. Parce que j’essaie d’être logique et qu’aujourd’hui, je veux que ça change. J’y crois pas vraiment, mais je vais le faire. »
Juste un homme, une voix. Et l’épaisseur d’une vie dans une enveloppe.
Le Monde.fr
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