[Excellente question et quand on y répond en remontant le cours de l’Histoire on s’aperçoit vite de l’impasse dans laquelle on est et dont on doit impérativement sortir]-alpha.b
Tout cela soulève une question fondamentale : Une économie pour qui et pour quoi faire ?
Certainement pas uniquement au bénéfice de quelques-uns au situés sommet, ni des grandes entreprises et de leurs PDG. Les succès de l’économie ne peuvent non plus être mesurés par le rythme de croissance du PIB, ou le niveau atteint par l’indice Dow Jones, ou par l’élévation du revenu moyen.
La crise du capitalisme américain signe le triomphe des consommateurs et des investisseurs sur les travailleurs et les citoyens. Et puisque la plupart d’entre nous occupent ces quatre rôles – même si les plus riches prennent la part du lion dans la consommation et l’investissement – le cœur de cette crise réside dans la possibilité croissante pour chacun d’entre nous, en tant que consommateur ou investisseur, de faire de bonnes affaires, et dans notre capacité déclinante à être entendu en tant que travailleur et citoyen.
Les technologies modernes nous permettent d’acheter en ligne en temps réel, souvent dans le monde entier, aux plus bas prix, la plus haute qualité, d’obtenir les meilleurs rendements. Grâce à Internet, nous pouvons maintenant disposer instantanément d’informations pertinentes, comparer les offres, et transférer notre argent à la vitesse des électrons. Nous pouvons acheter sur Internet des produits qui seront livrés directement chez nous. Jamais auparavant dans l’histoire les consommateurs et les investisseurs n’auront été aussi puissants.
Pourtant, ces affaires se réalisent de plus en plus au détriment de nos salaires et de nos emplois, comme de ceux de nos compatriotes, et se traduisent par un creusement des inégalités. Les marchandises que nous voulons ou les rendements que nous recherchons peuvent souvent être obtenus de manière plus efficace ailleurs dans le monde par des entreprises offrant un salaire inférieur, moins d’avantages sociaux et des conditions de travail moins bonnes.
Cela se produit également aussi au détriment de nos entreprises locales – qui sont le cœur de nos communautés – lorsque nous faisons de bonnes affaires grâce à Internet ou à des chaînes d’hypermarchés qui sillonnent le monde à la recherche des prix bas.
Certains achats ont des conséquences dévastatrices sur l’environnement. La technologie nous permet d’acquérir sans difficulté des produits bon marché en provenance de pays pauvres, appliquant peu de normes environnementales, et qui sont parfois fabriqués dans des usines qui déversent des produits toxiques dans les rivières ou relâchent leurs polluants dans l’atmosphère. Nous considérons faire une bonne affaire en achetant des voitures qui crachent du carbone dans l’air et des billets de voyage en avion qui font encore bien pire.
D’autres bonnes affaires sont une offense à la morale commune. Nous pouvons obtenir de bons prix ou un rendement élevé, parce qu’un industriel aura réduit les coûts en embauchant en Asie du Sud ou en Afrique des enfants qui travaillent douze heures par jour, sept jours par semaine. Ou en obligeant les gens à endurer des conditions de travail impliquant des risques mortels.
En tant que travailleurs ou en tant que citoyens, la plupart d’entre nous n’auraient pas volontairement effectué ces choix, mais, par notre recherche de bonnes affaires, nous en sommes indirectement responsables. Les entreprises savent que si elles ne parviennent pas à nous proposer les meilleures offres, nous dépenserons notre argent ailleurs – ce que nous pouvons faire toujours plus vite et plus efficacement.
Le meilleur moyen pour concilier les exigences, entre d’une part consommateurs et investisseurs et d’autre part travailleurs et citoyens, est fourni par les institutions démocratiques qui façonnent et contraignent les marchés.
Lois et règlements offrent une certaine protection pour les emplois et les salaires, les communautés locales, et l’environnement. Bien que ces règles soient susceptibles d’être coûteuses pour nous en tant que consommateurs ou investisseurs parce qu’elles écartent les offres les plus attrayantes, elles ont pour justification de nous permettre de définir ce que nous, en tant que membres d’une société, sommes prêts à sacrifier pour ces autres valeurs.
Mais les technologies permettant de faire de bonnes affaires dépassent les capacités des institutions démocratiques à les contrebalancer. D’une part parce que les règles nationales destinées à protéger les travailleurs, les communautés et l’environnement s’étendent habituellement uniquement jusqu’aux frontières d’une nation. Ces mêmes technologies qui permettent aux acheteurs et investisseurs d’ignorer les frontières avec une facilité croissante, rendent dans le même temps plus difficile pour les nations de surveiller ou de réglementer ces transactions.
D’autre part, les objectifs autres que la rentabilité sont moins facilement réalisables dans les limites d’une seule nation. L’exemple le plus évident est celui de l’environnement, dont la fragilité concerne le monde dans son entier. En outre, les entreprises menacent désormais systématiquement de délocaliser les emplois et les usines loin des États qui leur imposent des coûts plus élevés – et donc, indirectement, sur leurs consommateurs et investisseurs – et en direction des législations les plus « favorables aux entreprises ». L’informatique et Internet ont rendu les entreprises suffisamment agiles pour rendre de telles menaces crédibles.
Mais le plus gros problème reste que l’argent des entreprises affaiblit les institutions démocratiques au nom d’une meilleure efficacité pour les consommateurs et les investisseurs. Les contributions aux campagnes électorales, les myriades de lobbyistes grassement rémunérés et les campagnes de relations publiques financées par les entreprises submergent la capacité qu’auraient les parlementaires, les organismes de réglementation et les tribunaux à prendre en compte les intérêts et les valeurs des travailleurs et des citoyens.
En conséquence, les consommateurs et les investisseurs s’en sortent de mieux en mieux, mais l’insécurité de l’emploi est grandissante, les inégalités se creusent, les communautés sont de moins en moins stables, et le changement climatique s’aggrave. Rien de tout cela n’est viable sur le long terme.
Faites porter le blâme à la finance mondiale et aux multinationales autant que vous voudrez. Mais gardez-en un peu pour ces consommateurs insatiables et ces investisseurs qui sommeillent en pratiquement chacun de nous, et qui sont entièrement complices. Et blâmez aussi notre incapacité, en tant que travailleurs et citoyens, à restaurer notre démocratie.
Robert Reich est professeur émérite de politique générale à l’Université de Californie à Berkeley. Il a servi dans trois administrations nationales, le plus récemment en tant que Ministre du travail sous la présidence de Bill Clinton. Il a écrit treize livres, dont « The Work of Nations », « Locked in the Cabinet », « Supercapitalism », et son plus récent livre, « Aftershock ». Ses commentaires « Marketplace» peuvent être écoutés sur publicradio.com et iTunes. Il est également président du conseil de Common Cause.
analyse de Robert Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton
Blog de Olivier Berruyer www.les-crises.fr
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