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Avr 14

Les murs écroulés du monde

[Ce n’est pas l’avenir de la France qui s’annonce sombre mais celui du monde parce que le système financier poussé à son extrême a détruit notre modèle de civilisation que l’on a rendu universel. Il faut en reconstruire un autre :

 

Michel Serres :

De même qu’un train au démarrage
présente une force d’inertie, une résistance physique, la classe politique n’a pas encore pris acte des mutations de notre temps.

 

 Elle ne mesure pas le changement
social qu’induisent les nouvelles technologies.


Le physicien Niels Bohr [1885-1962]
l’avait bien compris: les idées nouvelles ne s’imposent pas parce qu’elles sont vraies, mais parce que l’ancienne génération a pris sa retraite !

 

 

Sans commentaires]-alpha.b

 

 

 

 

 

 

Au début de cette année, nous nagions dans l’optimisme et – s’il faut en croire notre Président – la crise était « derrière nous ». Les crédits à trois ans de la Banque centrale européenne (LTRO ou Longer Term Refinancing Operations) semblaient avoir calmé la vague de spéculation qui avait failli emporter l’euro au mois de novembre dernier. La BCE avait injecté 489 milliards d’euros en décembre et 530 à la fin du mois de février. Le Mécanisme européen de stabilité (MES), adossé à des plans de rigueur généralisés officialisés dans le Pacte budgétaire européen, était censé nous garantir contre un retour de la crise. Enfin, la question de la Grèce était apparemment réglée par la restructuration de la partie de sa dette détenue par des investisseurs privés.

                 
Toutes ces illusions ont éclaté cette semaine.

 
Les LTRO n’ont pas donné les résultats escomptés. Cela se comprend si l’on prend en compte le doute croissant sur la capacité de l’Espagne et de l’Italie à rétablir tant leur solvabilité interne (la capacité à maintenir une dette stable et à en servir les intérêts) que leur solvabilité externe (la capacité du pays à rembourser les emprunts qu’il contracte pour payer son déficit de la balance commerciale).

 
À cette situation s’ajoute une fuite des capitaux massive de l’Espagne et de l’Italie, que ce soit vers des pays considérés comme « surs » dans la zone euro (essentiellement l’Allemagne, les Pays-bas et le Luxembourg) ou vers l’extérieur de la zone (la Suisse, les États-Unis et, de plus en plus, les pays asiatiques).

 
Quelles sont alors les options pour la BCE ? Elle peut reprendre ses LTRO. Mais, on l’a déjà écrit, leur efficacité est désormais faible devant les inquiétudes que suscitent la solvabilité de l’Espagne et de l’Italie. Elle peut aussi reprendre ses achats de titres sur le marché secondaire. Mais, d’une part, elle a déjà acheté pour plus de 214 milliards de titres de dettes de pays en difficulté, ce qui pèse sur son bilan si l’on y ajoute les achats de dettes privés « toxiques » fait pour soulager les banques et les prêts consentis à ces dernières. D’autre part, cette politique rencontre désormais l’opposition de plus en plus nette non seulement des représentants allemands mais aussi des représentants néerlandais et finnois en son sein.

 
 
La démonstration est désormais faite que la politique monétaire ne peut à elle seule venir à bout de cette crise. Il faut, aussi, un volet de politique budgétaire, et non pas seulement sous la forme de politiques d’austérité mais de politiques de croissance. Il ne peut en effet y avoir de retour à la solvabilité, qui conditionne l’accès à la liquidité, pour les pays en détresse qu’à deux conditions (conjointes) : une forte croissance ou à une croissance modérée avec une forte inflation (il faut une croissance nominale du PIB de 5% à 6%) ; des transferts importants (à hauteur de 3% à 4% du PIB) de l’Allemagne vers les pays à problèmes (Grèce, Portugal, Espagne, Italie) pendant une période de 4 à 6 ans.

 
 
Si l’Allemagne est incontestablement prête à faire un geste en direction de la croissance, il ne sera pas à la hauteur de ce qui serait nécessaire, et l’on ne doit entretenir aucune illusion à ce sujet. Dès lors le Pacte budgétaire et le MES vont s’avérer des pièges redoutables dans lesquels les pays européens se seront d’eux-mêmes enfermés. Si l’on ne veut pas que cette crise emporte avec elle tous les acquis sociaux de ces cinquante dernières années et plonge l’Europe dans la misère et le désespoir, il ne nous reste que deux solutions : soit on peut renégocier en profondeur, et non à la marge, le Pacte budgétaire mais il convient de le faire sur la base de mesures unilatérales et en assumant le risque d’une rupture au sein des pays de la zone euro ; soit il faudra déconstruire cette dernière, et le plus vite sera le mieux.

 
 
Ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy ne sont prêts à l’une ou à l’autre de ces options. L’avenir de la France s’annonce donc fort sombre.

Jacques Sapir est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et professeur associé au Collège d’économie de Moscou (MSE-MGU).

 

 

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