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Mar 09

Le prophète

[Il n’y a effectivement pas de plan B, mais c’est plus qu’une révolution industrielle mais une révolution tout court. L’industrie ne fera que montrer la voie]-alpha.b

 

ÉCONOMIE

La prophétie du professeur Rifkin

Christine Monin – publié le 08/03/2012

Cet essayiste américain annonce la troisième révolution industrielle, fondée sur les énergies vertes et Internet. Utopique ? Pas si sûr.

Alors que l’Europe s’enfonce dans l’austérité, que le retour de la croissance semble toujours plus hypothétique, le dernier ouvrage de Jeremy Rifkin est une bouffée d’air salvatrice. Un pas de côté indispensable dans la campagne présidentielle pour prendre la mesure des défis économiques, sociaux et environnementaux.

 Dans la Troisième Révolution industrielle (Les liens qui libèrent, 24 €), l’économiste et activiste américain, conseiller de nombreux chefs d’État, auteur de best-sellers comme la Fin du travail, nous livre les clés d’un avenir durable. Il y diagnostique la fin de l’ère du pétrole et du pouvoir centralisé au profit d’une économie collaborative fondée sur les énergies renouvelables et Internet. Utopique ? Au contraire. Jeremy Rifkin propose un plan d’action pragmatique. À la tête d’un groupe de travail qui rassemble une centaine d’entreprises mondiales comptant parmi les acteurs majeurs du bâtiment, des télécommunications, du transport et des énergies renouvelables, il aide déjà États, villes et régions à entamer cette transition économique. 

Selon vous, la crise actuelle ne serait pas financière mais énergétique… 

Peu s’en sont aperçus, mais le déclenchement de la crise remonte au mois de juillet 2008, lorsque le prix du pétrole s’est envolé à 147 $ le baril. Sept ans avant, il était encore à moins de 24 $. Or, la quasi-totalité de l’activité économique dépend du pétrole et des énergies fossiles : engrais, produits pharmaceutiques, matériaux de construction, fibres synthétiques, transports, lumière… Le renchérissement du coût de l’énergie a donc entraîné une hausse générale des prix et un effondrement du pouvoir d’achat. À 147 $ le baril, les prix étaient si élevés que l’économie mondiale s’est arrêtée. C’est à ce moment-là que le véritable séisme économique s’est produit. La crise financière, 60 jours plus tard, n’a été qu’une réplique.

Notre modèle économique est-il condamné ?

Nous avons atteint le « pic de la mondialisation ». Désormais, chaque fois que la croissance repartira, le prix de l’énergie augmentera et, à 150 $ le baril, l’économie s’arrêtera de nouveau. Nous enchaînerons des cycles courts de reprise et de rechute, sans pouvoir en sortir. Nos gouvernements multiplient les réformes fiscales, bancaires… mais ils passent à côté de l’essentiel : l’agonie d’un modèle économique fondé sur le pétrole abondant et bon marché. Depuis 1979, la quantité de pétrole disponible par habitant diminue. Les réserves s’épuisent alors que les demandes de la Chine et de l’Inde explosent. À cela s’ajoute la facture entropique des deux premières révolutions industrielles : le changement climatique, dont nous avons tous sous-estimé la rapidité. Selon les scientifiques, nous serions à l’aube de la sixième extinction de masse. Il nous faut d’urgence une nouvelle vision économique et un plan d’action pour sortir du carbone d’ici à 30 ans. 

Nous devons donc passer à la troisième révolution industrielle ? 

Les grandes révolutions économiques de l’Histoire se produisent quand une nouvelle technologie de communication rencontre un nouveau système énergétique. La première révolution industrielle a vu converger la machine à vapeur avec l’imprimerie, entraînant la première alphabétisation de masse. La deuxième a été celle du mariage du moteur à combustion avec la communication électrique (téléphone, radio, télévision), donnant naissance à une société basée sur le pétrole, la voiture et la production en série. Nous assistons aujourd’hui à la rencontre des énergies renouvelables et d’Internet. Sur ce socle, peut émerger une troisième révolution industrielle qui nous permettra de sortir de l’impasse économique et écologique et transformera radicalement nos manières de vivre, de produire et de travailler. C’est une occasion historique.

Quel est votre plan d’action ?

Nous avons identifié cinq piliers. Le premier est le passage aux énergies renouvelables. Mais comment collecter ces énergies ? La logique a d’abord été de créer des parcs solaires géants dans les régions ensoleillées et des fermes éoliennes là ou le vent souffle constamment. Si cette démarche est nécessaire, elle ne suffit pas. Contrairement au charbon ou au pétrole, les énergies renouvelables se trouvent partout et à l’infini. Pourquoi alors mettre en place un système de collecte centralisé ? C’est le pilier numéro deux : il faut transformer chaque bâtiment en microcentrale électrique. Chaque maison, chaque immeuble doit collecter, sur site, le soleil sur son toit, le vent sur ses murs, transformer ses ordures en biomasse, exploiter la chaleur géothermique sous ses fondations… Des géants du BTP, Bouygues en tête, se sont déjà attelés à la tâche.

Mais les énergies vertes sont pour la plupart intermittentes…

J.R. En effet, le soleil ne brille pas toujours et le vent ne souffle pas en permanence… Comment y remédier ? Le troisième pilier, sans doute le plus complexe à maîtriser, concerne le ­stockage de l’énergie. La technologie de l’hydrogène est, à ce jour, la plus prometteuse. Il faut ensuite trouver le moyen de distribuer l’énergie produite par ces millions de bâtiments. Le quatrième pilier est fondamentalement coopératif. Il s’appuie sur la trans­formation du réseau électrique en un Internet de l’énergie où chacun pourra vendre et acheter son électricité. Enfin, le dernier pilier concerne le transport, avec le déploiement de véhicules propres, électriques ou à hydrogène, qu’on pourra brancher sur le réseau. Ces cinq piliers doivent être mis en place simultanément, sinon leurs fondations ne tiendront pas. Faute de l’avoir compris, Obama est en train d’échouer dans l’économie verte malgré les milliards de dollars investis.

Les chefs d’État sont-ils prêts à se lancer dans l’aventure ?

L’Union européenne est la plus avancée sur le sujet. Elle s’est officiellement engagée en faveur de la troisième révolution industrielle et a adopté dès 2008 un « paquet climat-énergie » à l’horizon 2020 : produire 20 % d’énergies renouvelables, accroître de 20 % les économies d’énergie, réduire de 20 % les émissions de CO2. Mais elle doit veiller à ne pas perdre cet élan. L’Allemagne, suivie par les pays scandinaves, fait figure de locomotive. Elle produit déjà 20 % d’énergie verte et devrait atteindre 35 % en 2020. Elle a converti, en cinq ans, un million de bâtiments à l’énergie positive, et créé 250 000 emplois.

Pourquoi la France est-elle à la traîne ? 

La France est un pays centralisé. Cet atout du passé se retourne contre elle à l’heure de la troisième révolution industrielle. Il lui faut passer à un modèle collaboratif. ­L’Allemagne est, à cet égard, mieux outillée : c’est un pays décentralisé, une fédération de régions où le pouvoir est déjà distribué. Mais je ne veux pas croire que la patrie de Jean ­Monnet, qui a insufflé l’idée d’une coopération entre États, au fondement de l’Union européenne, ne puisse réussir cette transition autant culturelle qu’énergétique. J’ai rencontré récemment François ­Hollande, Eva Joly et Arnaud Montebourg à ce sujet. 

Votre plan sonne-t-il le glas du nucléaire ?

L’atome est, par essence, une énergie centralisée, alors que l’avenir appartient à la production partagée.
Et il cumule trop de handicaps pour constituer une alternative crédible. Il n’a jamais été une énergie propre à cause des déchets radioactifs, et il reste une petite source d’énergie à l’échelle mondiale. Environ 400 centrales fournissent 6 % de l’énergie dans le monde et, pour passer à 20 % en 20 ans, il faudrait construire trois centrales par semaine d’ici à 2031 ! C’est techniquement impossible et politiquement inconcevable depuis Fukushima.

Comment cette révolution va-t-elle transformer notre société ?

La deuxième révolution industrielle était fondée sur des énergies fossiles, rares et concentrées, nécessitant de gros investissements financiers. Elle était par nature pyramidale et centralisée. La troisième révolution s’appuie sur des énergies vertes inépuisables, accessibles partout et par tous, elle est coopérative. Dans tous les domaines : politique, économique, social, éducatif, la démocratisation de l’énergie entraînera le passage d’un pouvoir hiérarchique et vertical à un pouvoir latéral et collaboratif. Tout comme le partage de l’information sur Internet a déjà fait bouger les lignes. Les maisons de disques ont vu leurs revenus s’effondrer le jour où des millions de jeunes ont commencé à échanger leurs fichiers musicaux sur le Web. Les journaux ont subi les mêmes revers avec l’avènement de la blogosphère. 

C’est un bouleversement idéologique… 

Désormais, il deviendra anachronique de raisonner en termes de droite et de gauche, de capitalisme et de socialisme. La nouvelle ligne de partage passera entre ceux qui pensent en termes de collaboration, d’ouverture et de transparence et ceux qui pensent encore en termes de hiérarchie, de fermeture et de propriété.

Le capitalisme changera-t-il, lui aussi, de nature ? 

La troisième révolution industrielle ouvre l’ère du capitalisme distribué. Tout comme des millions de personnes pourront produire leur propre énergie, des millions de petites entreprises pourront fabriquer des produits manufacturés en petites quantités, se substituant aux usines géantes et centralisées. Grâce à l’impression 3D. En utilisant un logiciel relié à une imprimante 3D, il est en effet possible de fabriquer une aile d’avion, une batterie, des bijoux… Cela ressemble à de la science-fiction, mais des centaines d’entreprises utilisent déjà ce procédé beaucoup moins gourmand en matières premières

et en énergie. Ces produits pourront alors être vendus sur Internet, via des sites comme Etsy où des milliers d’artisans se connectent à des millions d’acheteurs potentiels. Les notions de profit et de productivité, telles qu’elles existent aujourd’hui, n’auront plus de sens. Les entreprises qui prospéreront seront celles qui parviendront à améliorer leur efficacité énergétique.

Vous nous promettez une sorte de monde idéal…

La troisième révolution industrielle n’est pas une panacée ni une utopie qui nous conduira à la terre promise. C’est un plan économique pragmatique qui permet de relever la plupart des défis auxquels nous sommes confrontés : le climat, l’emploi, la qualité de vie… Il n’est pas parfait et sa réussite n’est pas garantie. Mais je ne connais pas de plan B.

 

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