«

»

Nov 17

L’allumette

Finalement, que raconte ce mouvement, que nous réclament ces Homos automobilis, si ce n’est que la simple prise en compte de la réalité quotidienne des invisibles de la République, des surnuméraires de l’économie globale, laquelle se veut urbaine, connectée, éduquée et bénéficiaire du meilleur de la mondialisation ?

Le prix du carburant, c’est juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase des laissés pour compte, des perdants de la fin de l’égalité territoriale qui a si longtemps été le ciment de notre modèle républicain : de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.

Dans mon coin de cambrousse, c’est gilet jaune derrière pratiquement tous les parebrises : les Merco hors d’âge qui ronronnent malgré leurs 500 000 kilomètres au compteur, les 205 brinquebalantes, les BMW rutilantes, les innombrables monospaces des taxi-mamans, les compactes blanches quasi urbaines des commerciaux, dépanneurs, bagnoles de services, les Dacia réputées increvables, les nouveaux pickups bravaches, les pots de yaourts et autres pousse-mémé.

Parce que la bagnole n’est pas un culte, pas une frime, pas un affichage, mais c’est la dernière chose qui nous relie encore au monde qui a reflué et se concentre de plus en plus au cœur des villes. Au bled, nous sommes presque tous des experts en circuits d’Euler, on sait optimiser chaque trajet pour caler le toubib, la sortie de classe des gosses, les courses sans rien oublier, le passage chez les vieux, les horaires microscopiques d’ouverture de la Poste. Nous sommes les rois de la logistique. Parce que si tu oublies un truc, ça peut te couter des dizaines de kilomètres en plus.

Je sais qu’il y a deux France qui ne se calculent même plus, qui ne peuvent même plus se sentir. Je sais que la majorité urbaine considère les territoires périphériques comme des colonies intérieures : les pauvres, les faibles, les vieux, les surplus vivants ou inertes de la consommation élevée au rang d’art de vivre et marqueur social. Je sais qu’ils ne veulent rien savoir de nos écoles fermées, de nos hôpitaux liquidés, de nos services publics reconcentrés, des réseaux en pointillés, de l’Internet ravitaillé par les corbeaux, de nos zones blanches de tout.

Au final, à quoi ça sert de distribuer de bons ou de mauvais points entre les causes qui mériteraient d’être défendues et les colères qui seraient mal orientées ? À quoi ça sert de renvoyer dos à dos le bouseux enchainé à sa bagnole et son isolement grandissant et l’urbain qui doit pomper comme un Shadock sous amphé pour servir son SMIC mensuel de loyer au proprio ?

D’un côté comme l’autre, il y a de plus en plus de colère, de plus en plus de rejet d’une politique toujours plus élitiste et excluante, faite par et pour les 10 % les plus privilégiés contre tous les autres.

Qu’importe si l’allumette qui se rapproche de la mèche n’est pas craquée dans les bonnes conditions, de la bonne manière ou pour les bonnes raisons.

Il n’y a plus qu’un peuple qui en a marre, qui est en colère et qu’on doit — moins que jamais — laisser seul aux mains des forces politiques qui font leur terreau de la haine des autres.

Extraits d’un article de Agnès Maillard sur son blog monolecte.fr

 

1 ping

Répondre à colomb Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *